Richard de Coudenhove-Kalergi ou l’illustre inconnu du Jardin du Luxembourg

, par  John Groleau
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A l’occasion de l’exposition photographique « Identités européennes » [1], des prochaines élections au "Parlement" européen (?) et de la Journée de l’Europe (?), le Sénat a mis à l’honneur l’un des "pères" fondateurs de la construction européenne que nous subissons… M. le comte Richard Nikolaus de Coudenhove-Kalergi.

Ce personnage, en comparaison du banquier Jean Monnet [2], est totalement inconnu en France. Et pourtant son "œuvre" pour cette "Europe" est, on peut le dire, considérable.

En effet…

Dès 1922, il écrivit un manifeste européen avec cette vision : "Soit l’Europe continentale du Portugal à la Pologne se constituera en un super-Etat, soit elle sera réduite à néant sur le plan politique, économique et culturel encore au cours de ce siècle" (d’après la Fondation qui porte son nom) [3].
PanEuropa, manifeste de Richard Nikolaus de Coudenhove-Kalergi
En 1923, il créa l’Union Paneuropéenne. D’après l’association Paneurope France, membre de l’Union PanEuropéenne internationale, "l’objectif de Coudenhove est d’unir l’Europe afin que celle-ci conserve un rôle important face aux grands États (ndlr : Empires !) que sont les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni qui constitue à lui seul un grand ensemble régional grâce à son Empire" [4]. Aujourd’hui, le président d’honneur de l’Union Paneuropéenne internationale est l’archiduc Otto de Habsbourg [5]. Dans les principes fondamentaux de l’Union Paneuropéenne [6], on peut lire que "L’Union Paneuropéenne reconnaît l’auto-détermination des peuples et le droit des groupes ethniques au développement culturel, économique et politique".

Pendant la Seconde guerre mondiale, notre Richard émigra aux U.S.A. Le 25 mars 1944, le comité juridique du mouvement Paneurope et le Research Seminar for Post-War European Federation, adoptèrent à New York un projet de Constitution de type fédéral pour l’Europe unie [7].

En 1947, il fonda à Gstaad l’Union Parlementaire européenne et lors de son congrès à Interlaken un an plus tard, cette dernière "s’est donc efforcée d’élaborer un projet de Fédération européenne.[…]. La Fédération européenne, qui serait ouverte à tous, mais comprendrait pour commencer les pays adhérant au plan Marshall (l’Allemagne occidentale incluse), aurait un gouvernement et un Parlement composé de deux Chambres. Ce serait donc un véritable super-Etat, dont les pouvoirs s’étendraient au contrôle des finances, des affaires étrangères et de la défense nationale ou plutôt européenne" [8].

En 1948, le congrès de l’Union Parlementaire européenne a voulu "s’ériger en un « Parlement préliminaire des Etats-Unis d’Europe ». Ce Parlement, puisque c’est déjà ainsi que M. Coudenhove-Kalergi, secrétaire général, qualifie ce congrès comprendra des délégués de tous les pays situés entre les Pyrénées et le Rideau de fer. Chaque Parlement national représenté disposera d’un nombre de suffrages proportionnel à sa population (une voix par million). [...]. Cette vaste assemblée où, à l’exception des communistes, tous les partis et toutes les tendances politiques sont représentés, se propose la réalisation de deux grands buts : provoquer dans la plus brève échéance, la convocation rapide d’une Constituante européenne, élue par les Parlements nationaux, et tracer les grandes lignes de la constitution que devra adopter cette assemblée constituante, dont l’idée remonte, rappelons-le, au premier Congrès parlementaire européen tenu à Gstaad, au mois de septembre 1947" [9].

En 1949, l’Union Parlementaire européenne contribua à la création du Conseil de l’Europe. Dans un film d’archive, de Coudenhove-Kalergi est cité à cette occasion (voir ce film à 00:00:17). Il obtint que le Conseil de l’Europe ne consista pas seulement en un Conseil des ministres, mais soit complété par un second organe, une Assemblée parlementaire consultative. Ce fut le début de l’histoire du parlementarisme européen [10].

Le 18 mai 1950, de Coudenhove-Kalergi est le premier, avant Monnet et Schuman, à recevoir le prix Charlemagne pour sa contribution à l’idéal européen. Ce jour-là, dans son discours, il se livre : Union atlantique, nouvel Empire mondial, Turquie, Constitution fédérale,…Il recommencera le 8 novembre 1950 dans un mémorandum présenté aux Gouvernements de l’Allemagne, de la Belgique, de la France, de l’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas et de la Sarre. Emblème du Mouvement Paneuropéen, Cinquième rencontre Coudenhove-Kalergi, Gstaad le 08/09/07

De Coudenhove-Kalergi a aussi contribué à l’un des symboles de cette Europe-là. L’hymne européen…une idée de Richard [11]. En 1930, il avait déjà émis l’idée de célébrer annuellement dans tous les États une Journée de l’Europe [12]. Le drapeau européen, une idée de Coudenhove-Kalergi ? Pas tout à fait. Uniquement le bleu. En 1926, il avait choisi comme symbole du mouvement paneuropéen la croix rouge des croisades, symbole le plus ancien d’une union européenne supranationale face à un ennemi commun, sur un soleil d’or, le soleil d’Apollon, qui figure l’esprit européen dont le rayonnement a éclairé le monde entier. Il est intéressant de lire son mémorandum sur cette question du drapeau européen. La croix rouge n’a pas été choisie, mais douze étoiles ayant elles-aussi une signification bien particulière. Pour quelle raison le drapeau de l’Union Paneuropéenne ne fut-il pas choisi ? La Turquie a refusé [13]…C’était pendant les années 1950.

Richard Nikolaus de Coudenhove-Kalergi meurt en 1972.

Aujourd’hui, l’influence de l’Union Paneuropéenne reste très importante. Elle avait "remis au Président de la Convention, Valéry Giscard d’Estaing, des propositions concrètes pour l’élaboration du texte de la Constitution Européenne, qui furent reprises, en grande partie, dans le texte constitutionnel (ndlr : donc dans le Traité de Lisbonne)" [14].

Jean-Claude Juncker a reçu le 15 novembre 2007 la Coudenhove-Kalergi-Plakette à Münster. Le discours d’éloge en l’honneur de Jean-Claude Juncker fut prononcé par le député européen, Elmar Brok. Il existe des rencontres Coudenhove-Kalergi comme en atteste ce document [15].

Le Modem de François Bayrou apprécie beaucoup les idées de Coudenhove-Kalergi et de sa petite-fille Barbara [16]. Le 5 juillet 2008, cette dernière a déclaré que "la nationalité, ce ne sera plus que pour le football". La "comtesse rouge" n’a pas lu ni le discours d’Aimé Césaire sur le colonialisme dans lequel celui-ci a recopié "une page de Quinet pour la part non négligeable de vérité qu’elle contient et qui mérite d’être méditée" ni Jean Jaurès sur la nation.

Le sophiste Bruno Le Maire, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, à l’occasion de la Journée de l’Europe et des élections européennes, a rappelé que « l’Union européenne, c’est la paix » et a de nouveau parlé de « l’Europe puissance » dans son interview du 8 mai dernier sur France-Info.

Au XIXe siècle, une personne avait déjà dit "l’Empire, c’est la paix"…C’était Napoléon III [17]. Cet Empire porta aussi le nom d’"Empire libéral". Le 23 janvier 1860, Napoléon III avait d’ailleurs signé un traité de libre-échange (traité réduisant-ou supprimant- les droits de douane entre deux pays) avec l’Angleterre. Cela ne vous rappelle rien ? Le président français Nicolas Sarkozy a déclaré en novembre 2007 devant le Congrès américain : "L’Europe doit maintenant reprendre le dossier majeur de ses capacités militaires... il y a plus de crises qu’il n’y a de capacités pour s’en occuper" [18]. Nicolas Sarkozy vient de doubler les commandes d’armement en 2009. La paix se prépare… Le mot « Empire » est devenu « Union ». Les castes du militarisme et les bandes de la finance nous emmènent de nouveau vers le chaos.

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