Sur ordre des USA, Corsair m’empêche d’embarquer pour La Havane

, par  Hernando Calvo Ospina, Tribune libre
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En avril 2009 les autorités étasuniennes ont obligé un avion commercial d’Air France à dévier de sa trajectoire. Raison invoquée : à bord se trouvait une personne considérée comme un danger pour la sécurité de leur pays. L’appareil allait juste traverser leur espace aérien, car c’est à Mexico qu’il devait se poser. Quelques heures plus tard, j’ai appris que j’étais le « coupable ». C’est là que j’ai découvert que j’étais sur la No Fly List, créée et alimentée par le Terrorist Screening Center (TSC) du gouvernement fédéral des États-Unis, depuis 2003. [1]

Le dimanche 6 mai 2012, j’ai voyagé de Paris à Madrid. Je devais y prendre un avion d’Air Europa qui m’emmènerait à La Havane. Accompagné d’une responsable de la compagnie aérienne, un homme est venu me dire que je ne pouvais pas monter à bord parce que l’avion volerait dans l’espace aérien des États-Unis durant 5 minutes et que je me trouvais sur la No Fly List… [2]

Ce samedi 8 septembre 2018, on m’a de nouveau interdit un vol direct pour La Havane. Cela s’est passé à l’aéroport de Paris-Orly. Mon visa, obtenu la veille au consulat de Cuba, était en règle ; et j’étais en possession d’un document de voyage valide, délivré par le gouvernement français.

Dès vendredi, ne parvenant pas à obtenir ma carte d’enregistrement sur le site internet de la compagnie CORSAIR, j’ai pressenti les difficultés à venir. Samedi, trois heures avant le départ de l’avion je me suis présenté au guichet pour l’enregistrement, qui s’avéra impossible. L’employée Corsair qui s’occupait de moi essaya plusieurs fois puis, s’adressant à son collègue le plus proche, lui demanda ce que signifiait ce message bloquant qui apparaissait sur son écran, le même qu’elle avait déjà vu pour des passagers à destination du Canada.

Munie de mon passeport, elle se rendit au poste de sa responsable. En revenant elle dit à son collègue, pensant que je ne l’écoutais pas, que c’était le gouvernement cubain qui ne m’autorisait pas à partir et que la responsable était en train de parler en anglais, car elle appelait aux États-Unis.

Au bout de quelques minutes apparut une dame qui se présenta comme la responsable de Corsair. Elle m’annonça que les autorités cubaines ne me permettaient pas de prendre cet avion. Et que mon seul recours était de m’adresser à l’ambassade de Cuba.

Je lui demandai de m’indiquer le nom de la personne ou de l’institution avec qui elle avait parlé à Cuba. Suite à mon insistance, elle me donna ce nom : LAKATOS JOSEPH de la NATIONAL TRANSPORTATION SECURITY SERVICE. Avec ces numéros de téléphone : 8665 844501 et 2404 731665.

Je lui fis remarquer que ces numéros n’étaient pas cubains et qu’elle avait probablement appelé aux États-Unis. Mais elle nia et continua de soutenir qu’elle avait contacté les autorités cubaines. Elle commença à me répéter que je devais régler mon problème avec ces dernières puisque l’interdiction venait d’elles.

Et elle fit demi-tour.

À quelques mètres de là se trouvait le bureau de CORSAIR où je partis expliquer mon problème. L’employée qui me reçut m’annonça que la seule solution était de réserver pour une autre date. Je lui rétorquai que cela ne servirait à rien puisqu’on m’empêcherait encore de monter à bord.

Elle partit voir sa responsable et revint en me disant qu’elle ne pouvait rien faire de plus et que c’était à cause des autorités cubaines.

Je lui fis remarquer qu’elle répétait le mensonge de sa responsable, car je savais que l’ordre venait des États-Unis et non pas de Cuba. Et qu’une entreprise française n’avait pas à obéir à un autre pays.

Pour lever le doute, la personne qui m’accompagnait partit s’enquérir de l’indicatif téléphonique utilisé par la responsable CORSAIR qui lui répondit : 00 1. Et ce UN est bien l’indicatif international des États-Unis.

Mon accompagnatrice appela et c’est un monsieur de la Transportation Security Administation (TSA) des États-Unis qui lui répondit.

En revanche il lui refusa toute explication sur les raisons pour lesquelles il m’interdisait d’embarquer pour Cuba, arguant qu’il ne parlait pas aux passagers mais uniquement au personnel des compagnies aériennes.

Face à l’évidence, les employées de CORSAIR refusèrent de nous entendre et continuèrent à répéter que le problème venait de Cuba. Je leur demandai plusieurs fois pourquoi elles mentaient et qui les obligeait à accuser le gouvernement cubain. Mais elles s’acharnèrent à dire qu’elles ne mentaient pas.

Jusqu’à ce qu’une autre responsable vienne me dire qu’effectivement c’était les autorités des États-Unis qu’elles avaient contacté, mais… que je ne pouvais les traiter de menteuses…

Tout cela doit être filmé par les caméras de surveillance de l’aéroport.

Je suis rentré chez moi, n’espérant plus rien de Corsair… En 2009, Air France m’avait envoyé une lettre me disant qu’ils ne pourraient plus me transporter vers des pays frontaliers des États-Unis ni s’ils devaient traverser leur espace aérien.

Depuis que Cubana de Aviación n’a plus de vol au départ de Paris, j’ai pu partir avec Air Caraïbes, qui a passé un accord de partenariat avec Cubana et ne fournit pas sa liste de passagers à la TSA. Mais leur dernier vol de septembre a eu lieu vendredi dernier… Espérons qu’en octobre et dans les mois à venir Air Caraïbes continue à faire preuve de dignité et refuse la soumission.

Et que pourrait dire le gouvernement français ? La réponse est prévisible : les pays de l’Union européenne ont accepté, très docilement, il y a quelques années, que leurs compagnies aériennes fournissent les listes de passagers aux États-Unis. La lutte contre le terrorisme a bon dos.

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