Le protocole de Londres est applicable

, par  René Robert, Tribune libre
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Le 26 septembre, l’Assemblée Nationale a voté une loi rendant applicable le "protocole de Londres" qui supprime l’obligation d’une traduction intégrale en français des brevets d’invention. Les députés, à quelques exceptions près, ont accepté d’abandonner le français au profit de l’anglais, s’inclinant une fois de plus devant la Commission européenne : comment ne pas être incrédule ?

Les élus ont renoncé à la langue de la Nation compromettant le statut du français comme langue internationale, porteuse de valeurs universelles : comment ne pas s’en étonner ?

N’ont-ils pas violé l’article 2 de la Constitution qui donne aux Français le droit imprescriptible, dans leur pays, de s’exprimer et de travailler dans leur langue ? Comment ne pas s’en indigner ?

 Les conséquences du "protocole de Londres"

Un brevet comprend deux éléments principaux : les "revendications" et la "description". Le protocole supprime l’obligation de traduire la "description". Tous les juristes savent que la « description » est la partie la plus importante du brevet. Or, seul le texte anglais officiel de la publication aura valeur juridique La PME qui ferait une traduction ne serait pas protégée tout en subissant inévitablement une perte de compétitivité. Enfin, le protocole intégré portera rapidement et gravement atteinte au français comme langue technique, déjà trop dépendante, pour ses publications, des revues spécialisées de langue anglaise.

 L’étonnante surdité des députés

Toutes les institutions qui représentent le français, la francophonie et la diversité culturelle ont condamné le protocole de Londres. Pour l’Académie française "Le français étant la langue de la République, la France ne peut accepter que des textes en langues étrangères aient force de droit sur son territoire. En fait, par le biais des brevets se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n’ose aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler l’Europe ? Économiser sur les traductions, c’est non seulement mettre en péril les langues nationales, mais aussi amputer la plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité. Pour ces raisons, l’Académie Française demande solennellement aux pouvoirs publics de ne pas signer le protocole de Londres." Au-delà d’être un moyen d’exprimer la pensée, la langue est porteuse d’une conception du monde qui lui est propre. Renoncer à sa langue, c’est renoncer à soi et à sa culture, c’est renier son appartenance et, en l’occurrence, faire acte d’allégeance.

Pour Jean Foyer qui fut ministre de de Gaulle, accepter le protocole mènerait à "l’euthanasie de la langue française." Par leur vote, les députés montrent clairement qu’ils préfèrent l’anglais au français et l’Europe néolibérale à la République.

 La victoire du MEDEF

Les arguments présentés aux députés par le Gouvernement Fillon sont ceux du MEDEF : diminution des coûts de traduction et renforcement de la compétitivité des PME ! Pour le député non-inscrit Dupont-Aignan, "Quand on creuse un peu, ces arguments relèvent purement et simplement de la désinformation." Quant à lui, le député apparenté communiste Jean-Pierre Brard ironise avec raison : "Un ministère de l’identité nationale a été créé dans l’actuel gouvernement, mais nous avons constaté la semaine dernière lors des débats sur le texte relatif à l’immigration qu’identité nationale signifiait pour vous xénophobie alors que, lorsqu’il s’agit de défendre la langue française, vous ne jurez plus que par les mérites de l’anglais." L’anglais est déjà la langue de travail des grandes entreprises françaises ; pour elles la traduction dans leur langue nationale est un coût inutile. Faire de l’anglais la seule langue juridique des brevets conforte leur position et diminue leurs coûts de traduction en les réduisant aux "revendications". Que les PME se débrouillent ! Pour défendre le français, le Président Chirac avait résisté au MEDEF.

Le Conseil Constitutionnel, lui, n’a rien trouvé à redire ! Il ne s’est pas occupé de la partie "description" du brevet ! Curieux oubli !?

 Ultime argument approuvé par le PS : faire avancer l’Europe !

Bernard KouchnerBernard Kouchner, dans un livre récent, écrit : "Après tout, même riche d’incomparables potentialités, la langue française n’est pas indispensable, le monde a vécu sans elle. Si elle devait céder sa place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaissent." Ces propos et ce vote révèlent l’étendue et la profondeur de la gangrène néolibérale dans les couches dirigeantes européistes et dans les institutions de la Ve République.

Le premier acte d’un colonisateur est d’interdire aux peuples colonisés l’usage de leurs langues. De nos jours le maître de l’Empire n’a même plus besoin d’en arriver là : il lui suffit de demander aux "élites" colonisées d’y renoncer elles-mêmes. Après la soumission économique, puis la soumission politique, voici la soumission linguistique, la pire de toute ! Pauvre France ! Pauvre République !

Il faut refuser l’inacceptable.

René Robert

Article également publié dans la lettre n°12 du groupe République !, http://www.le-groupe-republique.fr/.

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