"La Suisse protège les milliards de célébrités grecques redoutant le fisc". Par Philippe Rodrik

, par  J.G.
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« La patrie d’Aristote vient de frôler la faillite. Des experts y observent une accélération de l’évasion fiscale. Mais les plus riches citoyens hellènes avaient pris leurs précautions depuis longtemps.

La dette publique de la Grèce atteint 300 milliards d’euros (environ 423 milliards de francs). Le pays vient de frôler la faillite. Un plan de sauvetage, financé par le FMI (Fonds monétaire international) et les seize États partenaires de l’euro, lui a permis d’y échapper. Montant de l’enveloppe : 110 milliards sur trois ans. Dans ce contexte, le fisc hellène compte redoubler de zèle.

Noble intention dont les perspectives de rendement promettent d’être faibles. Certaines des plus grandes fortunes du monde ont en effet vu le jour en Grèce, mais elles ont quitté leur patrie depuis belle lurette. Et n’ont pas manqué d’apprécier le savoir-faire des banquiers helvétiques ou les charmes de l’imposition au forfait, comme le confirme Spyros Arvanitis, économiste au Poly de Zurich.

Evoquons les plus beaux exemples. Cavalière de talent, Athina Onassis, petite-fille et unique descendante de l’armateur Aristote Onassis, détiendrait une fortune de 3 milliards de francs, gérée en bonne partie en Suisse. Celle du clan Latsis atteindrait 6 milliards.

Vente d’une banque

Ces deux familles devenues riches sur la mer apprécient depuis des décennies le secret bancaire helvétique. Et même activement ! En 1980, les Onassis avaient en effet vendu aux Latsis la Banque de Dépôt de Genève.

Leur compatriote Stavros Niarchos, lui aussi armateur de son état, s’est montré plus sensible aux grâces de l’immobilier de luxe. Tout a commencé par le Kulm-Hotel de Saint-Moritz en 1970. Depuis la mort du patriarche, en 1996, ses fils Philip et Spyros ont persévéré dans la même voie.

Ils ont acquis, entre autres, l’Hôtel Kronenhof de Pontresina. Ils se révèlent aujourd’hui les plus gros propriétaires fonciers en Engadine. La corporation des exploitants de navires grecs et leurs enfants témoignent décidément d’une fidélité aux banques suisses toute particulière. Les Livaros ont ainsi sollicité des établissements helvétiques pour prendre soin d’une fortune de 700 à 800 millions de francs. Sans oublier les Martinos qui se sont en plus portés acquéreurs de deux villas à Saint-Moritz en 2006. Ces deux transactions ont coûté, en tout, 110 millions de francs.

Et tous ces armateurs grecs, ou leur progéniture, auraient pris soin de couper presque tous les ponts avec les administrations de leur pays. “Une grande majorité de leurs bateaux ne navigue même plus avec le pavillon hellène. Ils préfèrent en utiliser de moins chers, par exemple ceux d’États africains”, relève Spyros Arvanitis.

Ces éléments s’inscrivent dans le drame et l’histoire de la dette publique grecque. L’an dernier, entre la fraude et l’évasion, 20 à 30 milliards d’euros auraient échappé au fisc hellène. Et toute l’économie du pays souffre. Même ses branches les plus solides !

En 2009, le chiffre d’affaires du transport maritime et de la construction navale a ainsi reculé de près de 8%. Celui du tourisme de 13%. Les investissements directs étrangers en Grèce ont chuté de plus d’un cinquième.

Et la plupart des experts s’y attendent : les futurs plans d’austérité devraient favoriser le développement de l’économie grise. Les recettes de ces activités clandestines se situaient entre 25% et 30% du PIB (produit intérieur brut) l’an dernier. Elles seraient avant tout liées aux professions libérales (voir ci-dessous).


La Porsche Cayenne, un must !

“Moscou détient le record mondial de Porsche Cayenne par tête d’habitant. Et, juste derrière, c’est Athènes, indique Arturo Bris, professeur de sciences économiques à l’illustre école lausannoise de management, IMD. Si cette réalité donne l’impression que les riches, les personnes exerçant des professions libérales, ne participent pas à l’effort fiscal, cela est dévastateur.”

Au sujet des signes extérieurs de richesse, les plus modestes contribuables grecs évoquent volontiers le nom de Kolonaki. Un quartier huppé de la capitale, situé sur le mont Lycabette, au cœur de la cité. Les Grecs les moins favorisés dressent presque tous la même liste des principaux responsables de la crise : les agents de l’État, les médecins et les avocats (ndlr : cette liste est bien étonnante et demanderait à être sérieusement corrigée ! Est-ce une simple erreur d’étourderie comme l’âge de départ à la retraite à 57 ans dans l’article Grèce : une cure d’austérité spartiate ?).

Avec ces citoyens, 10 euros d’imposition sur le revenu seraient perçus ainsi : 4 euros pour l’inspecteur du fisc, 4 généreusement cédés au contribuable lui-même et 2 à l’État. » Philippe Rodrik

Article publié par tdg.ch (La Tribune de Genève) le 14/05/10.

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