Après La Poste, la Commission de Bruxelles s’attaque à la SNCF et à la RATP

, par  J.G.
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« La Commission européenne exige la fin de la garantie publique illimitée dont bénéficie la SNCF. Cela pourrait conduire à la transformation du groupe public en société anonyme, à la manière de ce qui s’est passé pour La Poste. Pour l’instant, il n’est pas encore question d’ouvrir une procédure formelle contre la France.

A mêmes causes, mêmes effets ? Sous la pression de Bruxelles, La Poste a troqué en 2010 son statut d’Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) pour celui de société anonyme. Cette réforme hautement symbolique -dénoncée par les syndicats et la gauche, qui y ont vu la première étape d’une privatisation- visait à mettre fin à la garantie illimitée de l’État dont bénéficiait l’établissement postal. Une garantie publique qui est la bête noire de la Commission européenne. La SNCF -un Epic elle aussi-pourrait bien être la prochaine à en faire les frais, et devoir à son tour devenir une société anonyme (SA), ce qui constitue un chiffon rouge pour ses syndicats.

Signe qu’un bras de fer est bel et bien engagé, la Commission a envoyé en début d’année à la France un courrier au ton très direct. Dans cette lettre du 11février, dont “Les Echos” ont eu copie (lire ci-contre), la Commission rappelle qu’elle avait considéré que La Poste bénéficiait “du fait de son statut d’Epic” d’une garantie de l’État sur tous ses engagements, sans limite de montant ni de durée, “cette garantie constituant une aide d’État incompatible” avec le droit européen de la concurrence.

Avantage déloyal, selon Bruxelles

Vu de Bruxelles, un tel avantage est en effet déloyal : l’État se portant implicitement garant de ses engagements en dernier ressort, la “personne morale de droit public” échappe au droit commun sur la faillite et l’insolvabilité. Elle bénéficie aussi d’une notation financière plus flatteuse, qui lui permet de se financer à meilleur coût.

“La forme juridique de la SNCF étant également celle d’un Epic, la Commission a toutes les raisons de considérer que cette dernière bénéficie également d’une garantie implicite de l’État français du fait de son statut”, indique le courrier. Bruxelles demande ainsi à Paris de prendre des mesures pour “supprimer cette garantie”, à moins qu’elle ne parvienne à lui démontrer que la SNCF ne bénéficie pas d’un tel avantage.

Paris a adressé le 12avril à la Commission une fin de non-recevoir. Selon le ministère des Transports, “la France conteste le point de vue exprimé par la Commission européenne et fera valoir ses arguments juridiques car le gouvernement n’entend pas modifier le statut d’Epic de la SNCF.” Pour le gouvernement, être un Epic ne signifie pas automatiquement bénéficier d’une garantie illimitée qui serait constitutive d’une aide d’État. Paris espère toujours obtenir gain de cause auprès du tribunal de l’Union européenne, après y avoir déposé un recours contre la Commission sur le cas de La Poste.

A la SNCF, le raisonnement est identique. “Il n’y a pas distorsion de concurrence. La propriété d’une entreprise par l’État n’est pas interdite par le traité de Rome, le fait que nous soyons une société anonyme ou un Epic ne change rien à cette situation. La question de notre statut n’a donc pas de sens”, explique aux “Echos” David Azéma, directeur général en charge de la stratégie et des finances. Celui-ci en veut pour preuve la situation du grand rival, la Deutsche Bahn. “On peut observer que DB, bien qu’avec un statut de SA, dispose encore d’une notation AA qui est tout aussi peu due à ses mérites propres que la notation de SNCF… Qu’en pense la Commission ?”

La compagnie ferroviaire s’est par ailleurs organisée pour parer à toute critique. “La SNCF bénéficie certes d’une notation AAA. Mais ensuite, chacune de nos branches d’activité est financée en interne à des taux de marché identiques à ceux pratiqués par toutes les banques. Nous avons par ailleurs pris l’engagement que la dette de chacune de nos branches soit compatible avec des niveaux exigés pour au moins obtenir une notation BBB (qui serait considérée comme un investissement non spéculatif)”, souligne le dirigeant. Cela suffira-t-il à amadouer Bruxelles ? Dans ses lignes directrices sur les aides aux entreprises ferroviaires publiées le 22 juillet 2008, la Commission européenne demande plus généralement à tous les États membres de mettre fin sous deux ans aux garanties illimitées dont elles bénéficient. Autrement dit avant le 22 juillet 2010. A deux mois de l’échéance, seuls la France et le Portugal lui donnent encore du fil à retordre, même si Bruxelles attend encore des réponses de deux autres pays.

« Rien n’est décidé »

Pour l’instant, il n’est pas encore question d’ouvrir une procédure formelle contre la France. “Le dossier est à l’instruction et rien n’est décidé quant à la suite de la procédure”, indique la Commission, qui a déjà obtenu la suppression de telles garanties, notamment en France pour EDF. Mais ce genre de bras de fer -où la Commission se borne à exiger la suppression des avantages indus sans remettre en cause le régime de propriété des établissements auxquels elle s’attaque- est généralement de longue haleine. La Poste était ainsi dans le collimateur de Bruxelles depuis décembre 2005, mais ce n’est qu’en octobre 2006 que la Commission a adressé au gouvernement français une “recommandation proposant de mettre fin à sa garantie illimitée”, avant d’ouvrir une enquête approfondie un an plus tard… pour finalement la refermer au début de l’année, La Poste ayant entre-temps changé de statut. » Alexandre Counis et Renaud Honoré

Article Le statut de la SNCF dans la ligne de mire de Bruxelles publié par lesechos.fr, le 31/05/10.


« Bruxelles veut ramener de 2039 à 2030 la fin du monopole de la RATP sur le métro et les RER parisiens, et de la SNCF sur les trains de banlieue.

Les groupes publics français de transports sont décidément observés à la loupe par Bruxelles. Outre la question du statut de la SNCF, la Commission européenne s’intéresse également au monopole de la compagnie ferroviaire et de la RATP sur le transport ferroviaire en Ile-de-France, qu’elle pourrait écorner. Théoriquement, le règlement européen OSP (obligation de service public) impose la dérégulation du transport public en France depuis le 3 décembre 2009. Mais Bruxelles a laissé la possibilité aux États membres de prolonger les monopoles existants, afin de ménager une transition. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd à Paris : l’État a fait voter fin 2009 une loi permettant de proroger de 30 ans -le maximum autorisé par la Commission !- la mainmise de la RATP sur les métros et RER parisiens, et de la SNCF sur les trains de banlieue franciliens. Les deux groupes sont donc théoriquement tranquilles jusqu’en 2039. La mesure a été dénoncée mezzo voce par les groupes privés et certains parlementaires, qui y ont vu un cadeau des pouvoirs publics à ses fleurons.

Coup de pouce

Ces opposants discrets pourraient se voir donner un coup de pouce par les autorités européennes. Suite à une question de parlementaires posée le 13 janvier 2010, Siim Kallas, le nouveau commissaire européen aux Transports, a donné une autre interprétation des subtilités de la réglementation européenne. Le texte communautaire fait en effet la distinction entre les contrats passés avant et après juillet 2000 ; si bien que pour le commissaire, les 30 ans ne peuvent courir qu’à partir de cette date. “La Commission souhaite enfin rappeler […] que les contrats de service public de transport existant à la date du 3 décembre 2009 (date d’entrée en vigueur du règlement) et attribués sans mise en concurrence avant le 26 juillet 2000 peuvent se poursuivre jusqu’à leur expiration mais pas au-delà de trente ans, ce qui correspond au plus tard à la date du 25 juillet 2030”, est-il écrit dans la réponse de Siim Kallas, datée du 4 mars. En clair, les monopoles de la SNCF et de la RATP doivent être réduits de 9 années ! “La Commission va prendre contact avec les autorités françaises pour demander une clarification”, explique-t-on à Bruxelles. Une lettre officielle devrait bientôt suivre.

Cette position n’a pas entraîné de commentaire à la SNCF. A la RATP, on se disait “extrêmement surpris”. “La date de 2039 a été confirmée par tous les textes officiels publiés jusque-là”, explique-t-on. La Régie va donc défendre son monopole, alors que ses velléités d’expansion en dehors de son pré carré francilien font grincer les dents de ses concurrents. » Alexandre Counis et Renaud Honoré

Article La Commission veut rogner le monopole de la RATP sur le métro et les RER parisiens publié par lesechos.fr, le 31/05/10.

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