Les retraites au vert et dans le rouge

, par  Jérémy Mercier, Tribune libre
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Objectif 2020. Le Livre vert de la Commission européenne sur l’avenir des retraites fait peu parler de lui. En l’occurrence, il règne comme un consensus entre les différents partis politiques dominants pour ne pas aborder ce sujet, tandis que la réforme des retraites bat son plein, venant d’ailleurs d’être récemment votée au Parlement français. Ce Livre, dont le dossier économique de septembre 2010 du Monde Diplomatique indique qu’il préconise « la priorité à accorder à l’augmentation de l’âge effectif de départ à la retraite » et la nécessité de « revoir la réglementation des régimes de retraites par capitalisation », n’est pas tout à fait un livre comme les autres. Il a pour objectif l’année « 2020 » de la Commission européenne, visant à participer dans l’adéquation habituelle des ressources entre retraites et actifs, à une modernisation de la politique des retraites, plus généralement, à une croissance économique des États membres dite, par temps de crise, « intelligente, inclusive et durable ». Et plus fort qu’une Déclaration des droits, il est considéré, par les instances européennes, comme un texte de mesures économiques homogène pour tous les États membres. Reste à se demander pourquoi le système français devrait, comme le préconise ce Livre, s’aligner sur tous les autres en repoussant l’accès à la retraite et en poursuivant une « réforme » de régression sociale fort éloignée du progrès démocratique qu’entend promettre la Commission. Dans cette logique, tous les progrès historiques et/ou sociaux n’auraient jamais eu lieu et, d’un point de vue historique, la Révolution française elle-même n’aurait pu avoir lieu car tous les autres pays européens étaient, à l’époque, des monarchies.

Le Livre vert n’est certes guère écologique, ni encore l’œuvre d’un parti actuel. Il relève de la Commission européenne, et notamment suite à l’engagement pris à Barcelone, en 2002, par les États membres, pour augmenter considérablement l’âge légal de l’accès à la retraite. S’il précise qu’il a été rédigé dans l’intérêt et la discussion de la « société civile », il permet de donner un prétexte au libéralisme le plus sauvage pour « alléger la charge qui pèse sur les régimes publics de retraite », en incitant les États à se reposer sur les régimes privés. La finalité n’est certes pas peu masquée par d’ineffables partisans de cette évolution. Sous des couverts d’ « adéquation », de « viabilité », et de « priorité », mais jamais de légitimité ou de service public, il s’agit alors de concevoir la retraite presque comme un cadeau et non plus comme un strict dû. Le Livre vert est ainsi un outil dont s’est dotée l’Europe pour favoriser le meilleur état de retraites d’une « Europe vieillissante » qui aurait tort de considérer les retraités comme d’anciens actifs méritant, par solidarité, le temps du repos. Ils sont, au contraire, un « groupe de consommateurs de plus en plus grand » et ce groupe doit être pris en charge le plus tard possible. C’est la loi du plus fort, contraire au pacte républicain.

Le Livre vise surtout à convaincre de la justesse du dogme économique libéral, de la seule voie possible, de la pensée unique sans alternative rationnelle. D’ailleurs, force est de constater qu’il nie même la possibilité, somme toute imaginable fut-il un temps, par exemple dans les politiques sociales des Jacobins de la Révolution française, des matérialistes des Lumières, plus tard de Jaurès, d’une retraite universelle, et d’un âge universellement garanti d’accès à la retraite. Chimère utopique d’un monde impensable face à la garantie d’un « versement durable de pensions adéquates », la légalité d’un âge fixe de départ à la retraite et d’un stade fixe de cotisations font obstacles à l’harmonie commune des politiques budgétaires des États membres. En ce sens, le Livre vert fait un pas de plus dans la stratégie de hiérarchie économique des normes au sein de l’Union Européenne et impose aux différents États membres de s’aligner. Tandis que la Charte des droits fondamentaux, la convention n°102 de l’Organisation Internationale du Travail, et de nombreuses lois sociales internes, pouvaient établir la justesse de certains impératifs de dignité et de solidarité entre générations, de protection des services publics, notamment à propos des congés payés, des retraites, de la non exploitation dans le monde du travail, l’heure est maintenant à la réforme et à la mise en œuvre tous azimuts des mécanismes de garantie de l’arbitraire du Marché.

Reste à se demander si ce Livre vert, publié courant juillet 2010, n’est pas un nouveau petit Livre rouge d’un pouvoir qui n’est pas très représentatif des aspirations des citoyens, et fait encore un grand bond en arrière...

Jérémy Mercier

Article également publié dans la lettre n°41 du groupe République !, http://www.le-groupe-republique.fr

P.S. :

- Le Livre vert de la Commission européenne sur l’avenir des retraites. Copie du document :

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