Les Constituantes

, par  André Bellon
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La cause est entendue : Ben Ali, Moubarak,… et d’autres, ce n’est pas bien. Les plus ardents défenseurs de leurs régimes se sont soudain mués en brillants défenseurs de la démocratie. Aujourd’hui et sur l’air des lampions, tous les dirigeants politiques chantent « plus démocrate que moi, tu meurs ».

On en oublierait presque que, pendant plusieurs décennies, pratiquement tous les responsables politiques ont soutenu ces régimes, excusé les atteintes aux libertés au nom de la lutte contre des dangers plus ou moins réels, mais souvent utilisés comme justificateurs de l’aveuglement.

Seuls quelques personnes un peu plus lentes que les autres ne se sont pas converties à temps. On leur fait porter le chapeau pour tous les autres. Pauvre Alliot-Marie !

Cela étant, le scénario rose qu’on nous décrit sert trop souvent à masquer des suites pas toujours agréables. On voit bien que les puissances dominantes n’ont pas plus qu’avant le souci de la démocratie. Si le principe bien ancien du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes semble reprendre de la vigueur, nos propres dirigeants ne semblent pas les mieux placés pour en être les porte paroles. Il serait trop simple de soutenir les révoltes lorsqu’elles ont gagné et de mépriser son propre peuple comme l’ont fait les dirigeants français de toutes tendances après le référendum du 29 mai 2005.

En fait, on assiste actuellement à un de ces grands mouvements historiques, assez rares, mais d’autant plus puissants, dans les quels les peuples se remettent à marcher, à agir, à vouloir. Mouvements très contradictoires car, dans le même temps où l’aspiration à la liberté se manifeste, les oppositions se structurent, les tendances hostiles construisent leur expression. L’exemple de 1848, qu’on appela "le Printemps des peuples" est très symbolique de ces moments. En même temps que le peuple français qui, une nouvelle fois, renversa la monarchie, on vit les allemands, les autrichiens, les italiens,…, bouleverser les régimes autoritaires qui dirigeaient jusqu’alors leurs pays. Beaucoup ont alors été réprimées, beaucoup d’illusions ont tourné au drame, il est vrai. Mais tous ces mouvements qui portaient en germe cette éternelle aspiration à la liberté qui est au cœur de l’Humanisme ont continué de vivre, plus ou moins souterrainement et servent de terreau aux révoltes d’aujourd’hui.

Car la révolte actuelle ne se résume pas à la Tunisie ou à l’Égypte. Les grandes modifications qui secouent l’Amérique latine, sous des formes, d’ailleurs très différentes, sont une des expressions de ce retour des peuples, même si elles prennent parfois des formes plus personnalisées. Mais, de façon générale, on voit une nouvelle fois resurgir cette volonté de secouer le joug des contraintes imposées par un système inhumain qui cherche à confisquer l’idée même de liberté.

De Reykjavik à Tunis, d’Athènes à Alger ou au Caire, les masses populaires se sont remises en mouvement. Ce qui est en cause n’est pas seulement le poids et le rôle des chefs et les dirigeants occidentaux auraient tort de penser qu’il suffirait de remplacer un dictateur par un autre pour résoudre le problème. Ce qui est en cause, c’est le système même qui avait mis en place ces personnages et qui les soutenaient contre leurs propres citoyens. Il suffit de voir la réaction des fameux « marchés » pour s’en convaincre. Ainsi, les agences de notation privées qui ne représentent que des intérêts bien superficiels ont baissé la note de la Tunisie : la démocratie ne fait pas recette sur les marchés financiers. Dans le même temps, la bourse du Caire avait baissé de 10% et l’on voyait ce titre apocalyptique : "les troubles en Égypte minent les bourses". En Islande, pays pourtant bien tranquille jusqu’à la crise de 2008, les conséquences des krachs boursiers avaient conduit à une telle impasse, à de telles injustices, qu’une Assemblée Constituante avait été élue. Au prétexte que cette assemblée pouvait débattre de la nationalisation des ressources naturelles et parce qu’elle pouvait aussi envisager la séparation de l’Église et de l’État, la cour suprême, saisie par les propriétaires terriens et par des anciens élus conservateurs, a annulé fin janvier la convocation de la Constituante, proclamant ainsi que la volonté populaire n’est pas souveraine, faisant fi du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La cause n’est pas définitivement entendue puisque le gouvernement intérimaire a été forcé de réaffirmer son soutien au processus.

Où qu’on se tourne, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes apparaît comme le nœud du problème. Car il s’oppose à une mondialisation qui nie les peuples et broie leur volonté. Les réactions locales contre les manifestants dans tous ces pays sont souvent l’expression de puissances plus mondiales. Car la victoire de la démocratie aurait un effet d’entraînement qui remettrait en cause tout le système qui gère aujourd’hui la planète.

Et qu’on ne dise pas que les français ne font qu’attendre patiemment l’alternance. Les grandes manifestations pour les retraites ont montré à la fois la forte mobilisation sociale et la volonté populaire d’un changement des règles du jeu politique.

Car c’est bien la nécessité des Assemblés Constituantes (voir www.pouruneconstituante.fr), expression de la réappropriation de la vie politique par les citoyens qui est au cœur de l’actuel mouvement historique ; c’est la régénérescence de la démocratie contre le pouvoir d’oligarchies inutiles et nuisibles.

Article également publié le 21/02/11 dans la lettre n°46 du groupe République ! :
http://www.le-groupe-republique.fr/

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