Olivier Dard et Maurras : ni antisémite, ni germanophile, ni pronazi…

, par  Annie Lacroix-Riz, Tribune libre
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Des politistes tel Patrick Weil [1], historiens et journalistes, de Guillaume Erner à Daniel Schneiderman [2], découvrent, sidérés, qu’Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne, n’a « pas écrit le mot “antisémitisme” » dans la notice que le ministère de la culture l’avait chargé de rédiger sur Charles Maurras « dans le grand livre officiel des commémorations » [3]. Le motif de l’absence dudit mot a provoqué le 2 février 2018 sur France Culture l’embarras de l’historien, confronté à un Guillaume Erner insistant – « ben, je ne sais pas » pourquoi je l’ai oublié, a-t-il piteusement déclaré. Embarras d’autant plus légitime que l’oubli ne peut relever de l’étourderie ou de l’amnésie des « spécialistes obsessionnels [qui,] au bout de quelques années, […] fini[ssen]t par ne plus voir l’éléphant dans le couloir » : l’historien est particulièrement apprécié à l’extrême droite, à en juger par la fréquente référence de groupements d’Action française, d’Algérie française et associations assimilées aux conférences, travaux et directions de thèse de « notre ami Olivier Dard », groupes dont il est permis de douter de la solidité du philosémitisme, qui serait récent [4]. Notons l’absence de ces précisions politiques dans la fiche wikipedia d’Olivier Dard [5], tradition, il est vrai, respectée pour tout l’arc-en-ciel, à l’exception des universitaires marxistes ou non-antimarxistes, dont Anne Morelli et moi-même [6].

Y a-t-il motif à surprise ?

La surprise médiatique est surprenante pour au moins deux raisons.

1° Les nombreux travaux [7] de ce spécialiste de Maurras et de l’extrême droite française, notamment dans l’entre-deux-guerres – en bon français, du fascisme français –, si on les confronte aux archives originales de la première moitié du 20e siècle, attestent un gommage systématique des options idéologiques, antisémitisme inclus, et surtout un manque d’intérêt pour les pratiques de ses héros, de Charles Maurras aux fascistes officiels issus de l’Action française, tels Jean Coutrot et Bertrand de Jouvenel. Olivier Dard s’inscrit à cet égard dans le courant né dans les années 1950 à l’Institut d’études politiques (IEP) sous l’égide de René Rémond et Raoul Girardet, niant bec et ongles, contre des travaux anglophones démonstratifs, étayés et traduits, l’existence d’un fascisme français né à droite et dont l’Action française, ligue fondée de fait, en 1898, contre le capitaine Alfred Dreyfus, fut « la matrice », antisémitisme obsessionnel compris.

Les surpris de 2018 liront avec profit l’article de l’historien britannique Brian Jenkins, « L’Action française à l’ère du fascisme : une perspective contextuelle » [8] et les deux ouvrages de l’historien américain Robert Soucy, Le Fascisme français, 1924-1933 (French Fascism, the first wave, 1924-1933 ) et Fascismes français ? 1933-1939 : mouvements antidémocratiques, (titre fallacieusement traduit de French Fascism, the second wave, 1933-1939 ) [9]. Soucy y a désintégré, sources d’archives à l’appui, la thèse des « historiens du consensus » de l’IEP qui avaient décrit une droite « des années trente allergique au fascisme » et borné ce dernier au fascisme « révolutionnaire » d’avant 1914, prétendument « ni droite ni gauche », ou aux transfuges du socialisme (Marcel Déat) et du communisme (Jacques Doriot), sans mot dire des liens organiques entre les ligues fascistes et le grand patronat français, également bailleur de fonds de la « droite » dite « républicaine ». Cette audace déclencha contre lui une guerre inexpiable des historiens susnommés, qui déboucha sur son effacement historiographique. Le débat sur le (non-)fascisme de Maurras et du tandem droite-extrême droite, dans lequel s’insèrent les travaux d’Olivier Dard, est interdit de tribune académique depuis vingt ans [10].

2° Olivier Dard œuvrait dans sa notice officielle en terrain historiographique sûr. Il a trouvé ici appui objectif chez nombre d’historiens non suspects d’antisémitisme, mais qui confortent la thèse d’un « antisémitisme d’État » débonnaire, « français », pas « racialiste », pas exterminateur, et qui soutiennent que Maurras serait, bien que fervent pétainiste, demeuré de 1940 à 1944 parfaitement germanophobe. Simon Epstein, « économiste et historien israélien » d’origine française, a lancé l’offensive en 2008 avec Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance [11]. La mode, depuis le triomphe de l’équation nazisme=communisme, étant au paradoxe, la thèse du brusque brouillage des repères a remporté un vif succès. Elle n’est d’ailleurs pas neuve : il y a 15 ans, Jean-Pierre Azéma a affirmé que les parlementaires français avaient brusquement « perdu leurs repères » à Vichy en juillet 1940, et ainsi répondu à une question de Patrice Gélinet sur les manœuvres Pétain-Adrien Marquet du printemps 1940 : « je ne crois pas qu’il y ait eu complot » en vue de détruire la République [12]).

La télévision s’est emparée de la thèse de M. Epstein, qui s’est adjoint, pour deux documentaires diffusés les 3 et 10 décembre 2017 sur France 3 [13], deux historiens approbateurs. Lui-même insiste sur « l’extrême droite résistante », Olivier Wieviorka et Pascal Ory sur « la gauche collabo ». Sont développés sur la période 1918-1944 une série de poncifs multidécennaux contrebattus par les fonds originaux, délibérément écartés ici [14] : traumatisme de la Grande Guerre et pacifisme généralisé consécutif qui seraient la cause de tous les errements français ; abandon dramatique de l’antifascisme communiste entre le 23 août 1939 et le 22 juin 1941 ; vaillance patriotique des « vichysto-résistants » (issus de l’Action française), concept lancé par Jean-Pierre Azéma depuis plus de vingt ans sans qu’on ait trouvé jusqu’ici de sources 1940-1944 pour l’étayer [15].

De la notice aux faits historiques

Quant à la notice d’Olivier Dard, désormais chassée du Livre des commémorations nationales 2018 par un ministère de la Culture désemparé [16], elle accordait sur deux pages moins de six lignes aux années 1940-1944 : « Jusqu’en 1944 [Maurras] passe ses soirées et ses nuits [à son cher journal, L’Action française, prunelle de ses yeux depuis sa fondation, en 1908], écrivant son article quotidien, largement lu et commenté. […] En 1940, Maurras rallie le maréchal Pétain, “divine surprise” à l’heure de la défaite. Resté aussi antiallemand et antinazi que par le passé, il n’en est pas moins un pétainiste convaincu et avalise l’ensemble de la politique conduite par l’État français. » Là aussi, l’historien a manqué de l’espace nécessaire pour exposer ce qui signifiait, notamment du point de vue des juifs, un tel « aval » exhaustif donné à Vichy.

À peine six lignes, soit autant qu’à « l’épuration » et à la « condamnation » que Maurras récuse d’ailleurs vivement (la parole n’étant pas donnée à l’accusation), et nettement moins que les dix consacrées à l’avant-guerre du « procureur impitoyable […] du régime républicain », sauf pendant la Grande Guerre, en vue de « la victoire sur une “Allemagne éternelle” détestée. Le début des années vingt marque l’apogée de l’influence culturelle de l’Action française mais la condamnation pontificale de 1926 lui porte un coup sérieux. Maurras rebondit au tournant des années trente sur fond de crises et de scandales (Stavisky) qui débouchent sur l’émeute du 6 février 1934. L’épisode met en cause la fonction de chef politique d’un maître dont de jeunes militants, attirés par le fascisme, déplorent l’écart entre la virulence des discours et l’inefficacité des actions conduites contre le régime. »

Olivier Dard n’est pas seulement amnésique sur l’antisémitisme maurrassien. Il l’est sur à peu près tout dans sa biographie de Maurras [17], à l’appui de laquelle font défaut les sources originales, alors que, précise-t-il opportunément, « les Archives nationales ont en dépôt un important fonds Charles Maurras (576 AP) [qui] comprend 210 cartons, couvre 29 mètres linéaires et est consultable sur dérogation ». L’ouvrage, dont les notes sont de seconde main [18], soutient ainsi la thèse traditionnelle du « germanophobe » (désormais « antinazi » en sus, pour la notice) à l’« antisémitisme français » non létal sous l’Occupation [19], après avoir négligé un avant-guerre maurrassien très activement fasciste, et fort peu « nationaliste intégral ».

L’Action française – les archives policières et judiciaires en font foi – constitua un pan majeur du fascisme français dès la fondation des premières ligues (1922-1924). Tous les ligueurs en étaient issus, gauche renégate exceptée, tels les fondateurs de la Cagoule (en 1935-1936), tous membres de la 17e section d’Action française, du 16e arrondissement. Le mouvement et son journal furent d’abondance financés, certes par le très grand patronat français antirépublicain, ce que nie Olivier Dard dans La synarchie ou le mythe du complot permanent [20]. Mais pas seulement : comme tous les groupes fascistes français, l’Action française reçut, d’emblée et d’abondance, des fonds de Mussolini, qui la rendirent lyrique sur la conquête italienne de l’Éthiopie, apogée de la civilisation occidentale. Puis, sans renoncer aux fonds italiens, elle sollicita ou accepta, de plus en plus, le soutien financier des hitlériens au pouvoir. À la mesure du fascisme français tout entier qui, d’abord pro-italien en diable, devint de plus en plus allemand pendant la crise, moment décisif du complot contre la République et de la renonciation à défendre les frontières nationales. Les sources ont sur ce point entièrement confirmé les analyses quotidiennes du grand journaliste britannique Alexander Werth (Manchester Guardian ) effaré de 1936 à 1940 par l’ampleur de la Gleichshaltung (mise au pas-nazification) de la France et l’indécence de sa presse « gleichshaltée ».

L’Action française, certes, demeura germanophobe jusqu’au tournant des années 1920, ce qui entravait en France (et en Belgique) la tactique vaticane de « pacification » requise par Berlin car momentanément propice à la Revanche allemande. Il fallait neutraliser les « germanophobes » français en quête éventuelle d’alliance de revers : c’est ce qui valut à Maurras et aux siens la création, vaticane, en 1924, de la jésuite Fédération nationale catholique du général de Castelnau, plus docile et « pacifiste », puis la brutale excommunication d’août-septembre 1926, sans rapport avec la foi (absente) de Maurras. L’Action française germanophobe avait avant et pendant la Première Guerre mondiale déjà connu des temps difficiles avec la Curie, qui s’était entièrement engagée aux côtés des empires centraux. Que ceux qui doutent lisent L’Action française de la période-clé de l’excommunication, 1926-1932, qui raconta tout, avec une franchise hautement comique, Maurras et Léon Daudet en tête, sur la politique germanique du Vatican et ses nonces espions, Pacelli en Allemagne (puis secrétaire d’État), futur Pie XII, Maglione en Suisse puis en France [21].

À partir de l’ère hitlérienne, Maurras et son mouvement, si germanophobes qu’ils semblassent encore, pactisèrent avec le Reich. C’est d’ailleurs sur la base de cette réconciliation, de plus en plus tapageuse à la fin des années 1930 et publiquement motivée par la haine des Soviets et des juifs, que, à la mi-juillet 1939, le très germanophile Pacelli-Pie XII prononça, avec le soutien de son très germanophile secrétaire d’État Maglione, la levée de l’excommunication : c’était les deux « agents de l’Allemagne » de la Première Guerre mondiale et principales cibles de Maurras et Daudet de 1926 à 1932. À un mois et demi de l’entrée en guerre générale, cette injure à la République française fut légitimement interprétée comme consacrant l’alliance publique de l’Action française naguère « germanophobe » avec l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie [22].

Avant le 6 février 1934 et au-delà, l’Action française et Maurras affichèrent leur soutien au complot contre la République, prévoyant depuis l’été 1934 l’installation d’une dictature militaire appuyée sur Laval et Pétain (alors ministres du cabinet Doumergue). Complot fort activement soutenu par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie et prouvé par des milliers de documents d’archives policières et judiciaires [23]. Olivier Dard en balaie catégoriquement l’hypothèse depuis vingt ans en contestant la valeur des sources susmentionnées et en ridiculisant leur exploitation, taxée d’histoire « complotiste », grief de très bon rapport académique de nos jours.

Germanophobe, vraiment, avant-guerre, Maurras et les siens dont les diplomates hitlériens envoyaient avec délices à Berlin en 1938-1939 les articles vociférant contre « la guerre des juifs et des rouges » ? Celui par exemple de son cher Léon Daudet qui, anticipant la célèbre formule de Chamberlain le 27 septembre 1938 pour poignarder la Tchécoslovaquie haïe, mettait début avril dans L’Action française ces mots dans la bouche d’« un paysan ignorant de Touraine […]. “C’est paysan ou ouvrier, Jacques Couillonas, le cobaye de la démocratie sanguinaire, qui doit aller crever sur un signe de tête d’un juif qui en a horreur, dans un obscur et lointain patelin dont il n’a pas la moindre notion” » (dépêche de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris von Welczeck, 8 avril 1938). Germanophobe, vraiment, Maurras, toujours cité par une source allemande, invoquant le 26 août 1939 « l’opinion d’un expert militaire pour démontrer la futilité d’une attaque massive française [1°] sur la Ligne Siegfried […] : “ce serait exactement comme si un homme devait se taper la tête sur un mur de pierre, pour en aider un autre en train de se faire assassiner de l’autre côté. Ça ne servirait à rien pour la Pologne, et la France serait affaiblie de façon désastreuse” » ; 2° sur le front italien : impossible « d’avancer par les Alpes vers la vallée du Pô » à cause du mur de montagnes, sans parler du risque de se heurter à « une armée allemande venant du Brenner et […] à une attaque de flanc par l’armée italienne. » (télégramme Braüer 484, 26 août 1939) ? « “Divine surprise” [de ces gens] à l’heure de la défaite », vraiment ? je me permets de renvoyer au Choix de la défaite, à De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, et à Industriels et banquiers français sous l’Occupation [24].

Antisémite « français » et pas « racialiste », vraiment ? Ce distinguo, tenace dans l’historiographie cléricale [25], a perdu tout sens depuis la première grande crise systémique du capitalisme (1873-1914). Après Raul Hilberg, qui rappelait dans le chapitre 2 (« Les précédents ») de La destruction des juifs d’Europe, le lourd passé antisémite de l’Église romaine, et comparait le « Droit canonique » et les « mesures nazies » [26], David Kertzer, dans Le Vatican contre les Juifs. le rôle de la papauté dans l’émergence dans l’antisémitisme moderne [27] a décrit l’immense contribution romaine à l’antisémitisme (je dis bien antisémitisme) et balayé, en citant le journal assomptionniste La Croix pendant l’affaire Dreyfus et la Civiltà Cattolica du RP Rosa, principale voix officieuse du Vatican, le distinguo brumeux entre anti-judaïsme catholique et antisémitisme « ethnique ».

L’antisémite obsessionnel Maurras (comme toute son équipe) n’aurait pas été antisémite racial mais simple tenant d’un « antisémitisme d’État ». Lequel, rappelons-le, anticipa, au second semestre 1940 sur les demandes allemandes en la matière, puis se prêta à toutes les exigences allemandes en matière de déportation et ne freina la complète dénaturalisation des juifs qu’au second semestre 1943, époque où Bousquet se montrait encore aussi impatient que les Allemands mais où l’allant devenait incompatible avec le rapport de forces militaires. S’il y eut quelques prudences dans une petite partie du haut clergé, également sensible à l’après-guerre, Maurras ne les partagea pas, et on en détient des preuves absolues.

Déchaîné contre ses traditionnels ennemis avant l’occupation totale du territoire, juifs et communistes en tête, sans omettre les francs-maçons et les protestants, le directeur de l’Action française, publiée à Lyon, ne changea rien après novembre 1942. Dans L’Action française, il n’insultait pas seulement les Soviets mais aussi de Gaulle, les Anglais et les Américains : cette « attitude anti-anglaise et anti-américaine dans ses articles de journaux » plaisait beaucoup à l’ambassade d’Allemagne, et lui fit déconseiller son arrestation, en juin 1943, à un moment où l’occupant arrêtait beaucoup, même dans les milieux dirigeants français [28]. Maurras ne poussait pas seulement de façon générale les cagoulards de Darnand mués en miliciens à agir avec énergie, c’est-à-dire à massacrer juifs, communistes, gaullistes, francs-maçons, protestants, etc.

Dans le premier numéro de 1944, Maurras a des voeux limpides : « Nous répétons qu'il doit y avoir à Toulouse comme à Grenoble des têtes de communistes et de gaullistes connus. Ne peuvent-elles pas tomber ? […] L'important est de trier, de juger, de condamner, d'exécuter. »

Délateur inlassable des mêmes catégories, il appelait à la liquidation stricto sensu, noms et adresses à l’appui, d’individus, de familles et de groupes. Ceux-ci étaient d’autant plus vite livrés aux sicaires français (Milice) agents de la Gestapo (Sipo-SD), et aux bourreaux allemands que l’équipe de l’Action française était complice active des miliciens qui exécutaient la besogne seuls ou en compagnie des policiers allemands. Des magistrats non épurés (cas de la quasi-totalité de l’effectif 1940-1944), qui adoraient le « maître » Maurras, sabotèrent l’instruction de son procès : ils refusèrent entre autres de se procurer les numéros quotidiens de l’Action française, car ils auraient formellement démontré comment Maurras avait incité la Milice à l’assassinat du père de Roger Stéphane, « le juif » Pierre Worms. La documentation versée dans son dossier atteste formellement que son article de février 1944 appelant à la suppression de Pierre Worms avait dicté et précédé la mise à mort de ce dernier, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, par six miliciens, qui avaient au surplus entièrement pillé le site de leur forfait.

L'édifiant appel de Maurras contre les « menaces » des « hordes juives » en général, et contre Roger Worms en particulier – qui entraînera l'exécution de son père sur la Côte d'Azur 4 jours plus tard, le jour des 10 ans du 6 février 1934 (date avérée par le dossier d'instruction cité, BB/18/7113, 8 BL 441 R, Charles Maurras « Collaborateur »).

Dans sa biographie, Olivier Dard consacre trois pages à l’affaire (p. 221-223), qui fit grand bruit, vu la notoriété résistante et gaulliste « du capitaine Roger Stéphane », mais il opte pour la thèse que l’assassinat avait été antérieur à l’article de Maurras du 1er février 1944 : la consultation du dossier de justice BB/18/7113, 8 BL 441 R, Charles Maurras « Collaborateur », joint au dossier Maurras Charles, de Susini Marc, Arnus Émile (AN), lui confirmerait que, contrairement à la thèse mensongère du parquet d’Aix, Maurras avait bien donné le 1er février 1944 aux hommes de main de la Milice tous les éléments pour agir et que ledit parquet avait après la Libération sciemment empêché la vérité de se manifester, ce que reconnut le Procureur général près la cour d’appel d’Aix au garde des Sceaux, dès le 22 février 1945, procès achevé, et naturellement non révisé pour si peu.

Antinazi, Maurras, vraiment ? Pourquoi donc « la Gestapo », autorité de tutelle en l’occurrence, autorisa-t-elle, dès décembre 1942, et à nouveau en octobre 1943, « le renouvellement [du] port d’arme » que Maurras, avait demandé et obtenu de Bousquet pour lui-même et toute la direction de l’Action française : arme, rappela-t-il au préfet régional (de Lyon) en 1943, que m’a rendue le directeur de la prison de la Santé dès ma sortie [en 1937], « ma carrière m’exposant à des risques graves ». Certes, et ce fut pire entre 1940 et 1944, où il soutint Vichy et l’occupant. Qui recevait des Allemands des permis de port d’armes, des germanophobes antinazis, en vue de participer à la future libération de Lyon ? [29]

Les dérives de l’histoire sans sources

Sur le détail du traitement du dossier Maurras par Olivier Dard, l’historiographie dominante et médiatique, qui n’aime plus, depuis longtemps, les archives originales, trop « positivistes », ne cherche pas à s’informer. Elle apprécie l’énergie durable que déploie cet historien à ridiculiser, hors de toute discussion directe, orale ou écrite, la démonstration archivistique de l’existence d’un fascisme français de droite et d’extrême droite. Partageant sa dénonciation sonore de l’histoire prétendument « complotiste », elle le soutient fermement contre l’évidence des sources dans sa croisade contre un prétendu « complot contre la république ». À la tête d’un comité de soutien unanime, Michel Margairaz, professeur d’histoire économique contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, s’est félicité en 2009 que, « parmi les responsables politiques, le mythe d’une “synarchie” ourdie par Jean Coutrot a[it] bien été déconstruit », par Olivier Dard, précise-t-il en note infra-paginale [30].

C’est pourquoi « les historiens du consensus » ont tant tardé à s’apercevoir du pesant silence d’Olivier Dard sur l’antisémitisme de Maurras, qui n’a pas commencé avec la notice maudite. L’intéressé refuse le débat académique que je lui propose depuis vingt ans, oscillant entre le mutisme sur les travaux relatifs au fascisme français et les mises en cause fondées sur l’assimilation fascisme-communisme, dont il déteste manifestement davantage un élément que l’autre [31]. Il serait temps d’ouvrir ce débat, et d’admettre que l’extrême droitisation d’une historiographie sans sources, à laquelle les historiens « démocrates » et « républicains » ne réagissent guère depuis des décennies, menace à la fois la démocratie et la scientificité de la discipline historique, et conduit aux errements du Grand Livre ministériel.

Annie Lacroix-Riz, 05/02/2018

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