Tirage au sort pour le climat, le crépuscule de la raison

, par  André Bellon
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Le monde est fou, la planète brûle. Et, comme toujours devant les dangers et les peurs, se dressent des prophètes, chacun porteur de la solution miracle. Apparemment, rien de nouveau sous le soleil. Tous les apprentis dictateurs ont toujours expliqué qu’ils demandaient le pouvoir absolu pour résoudre des dangers auxquels le peuple ne sait pas faire face.

La nouveauté vient en fait de la méthode. Car les nouveaux sauveurs suprêmes prétendent, par des biais bizarres, incarner la vraie démocratie. Le détour utilisé pour réaliser ce tour de force est l’idéalisation du tirage au sort, censé remplacer une démocratie en trompe l’œil par la seule vraie.

Le Dieu hasard contre la raison

L’histoire commence il y a déjà quelques décennies par une propagande magnifiant le système grec qui, aux dires d’historiens du dimanche et de philosophes d’opérettes, choisissait les responsables par le tirage au sort. Remarquons simplement que ce système, d’ailleurs pratiqué entre les seuls citoyens les plus aisés, excluant les femmes et les esclaves, ne tirait au sort que les responsables de postes secondaires, souvent temporaires, alors que les responsables militaires et financiers étaient, pour leur part, élus. L’objectif de cette réécriture de l’Histoire est surtout de déconsidérer le suffrage universel, traduction politique de la pensée humaniste.

On ne saurait, cela étant, se contenter de se moquer de ce stratagème car il reflète la profonde crise de la démocratie représentative. Les députés ne représentent plus les citoyens. De plus en plus enserrés dans les partis auxquels ils doivent souvent leur carrière et même leurs revenus, ne rendant de comptes qu’aux membres de l’exécutif, tout particulièrement au Président de la République qui désigne la plupart d’entre eux, ils ne sont soumis à une sanction populaire que tous les 5 ans, à l’occasion de leur renouvellement. L’idée de sélectionner n’importe qui par le hasard apparaît alors comme un moindre mal à tous ceux qui ne veulent pas se battre pour reconstruire une vraie démocratie. Ainsi, une certaine classe dirigeante joue-t-elle sur deux tableaux. D’abord, elle déconsidère le principe de la souveraineté populaire, ensuite, elle se propose de remettre elle-même la démocratie sur pieds dans son propre intérêt.

La chose est légitimée et amplifiée par des rhétoriciens officiels qui, se présentant comme garants de ce qu’ils appellent le « bien commun », passent leur temps, avec l’aide de médias complaisants, à critiquer le suffrage universel. On peut multiplier les exemples : prenons celui de Thierry Pech car celui-ci, après avoir été, en tant que directeur général de Terra Nova, une des coqueluches d’un PS en perpétuelle trahison, semble être en odeur de sainteté dans les lambris du nouveau pouvoir. Sur France Culture, le 5 novembre 2018, il avait déclaré que « les populismes à l’œuvre reposent sur une absolutisation du suffrage. Ni Bolsonaro, ni Orban, ni Poutine, ne sont le produit d’autre chose que des élections. Mais, en dehors de ça, ils n’ont pas de légitimité, ni à la presse, ni aux corps intermédiaires, ni à la justice ». Un positionnement charmant, à mi-chemin entre la naïveté et le totalitarisme ; une manière désarmante de confondre les effets et les causes au profit d’un totalitarisme tranquille. Notons l’énormité du propos : la légitimité ne vient pas des urnes, elle vient des médias ou des corps intermédiaires.

Pas si naïf que cela finalement lorsqu’on découvre que le fameux Thierry Pech est, avec Laurence Tubiana, un des deux coprésidents du « comité de gouvernance » de la Convention citoyenne pour le climat lancée début octobre. À bas la souveraineté populaire, vive les nouveaux conseillers des princes !

Un zoo humain de la démocratie

Instructive initiative que cette convention ! Née de la volonté suprême d’Emmanuel Macron à l’issue du « grand débat », elle a commencé ses travaux. 150 personnes tirés au sort à partir des annuaires électroniques (pourquoi pas les listes électorales ?) sont rassemblés au palais d’Iéna où ils travailleront pendant 6 week-end. Ils doivent produire des textes de loi visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous passerons sur les surprises heureuses du sort : il semblerait que le doigt de la chance se soit posé sur Cohn-Bendit, mais qu’il aurait refusé.

Nous noterons au passage que 30% seulement des tirés au sort ont accepté ce don du ciel, du moins dans un premier temps. Peut-être faudrait-il s’intéresser aux raisons du refus des autres ! Mais la question principale n’est pas là. Elle est de savoir en quoi 150 citoyens tirés au sort sont en capacité de représenter plus de 60 millions de citoyens. Les responsables de l’opération nous précisent qu’on a choisi ces porte-flambeaux en tenant compte de l’âge, du sexe, des catégories socioprofessionnelles, … Remarquons que ce discours signifie, contre maints exemples contraires, que les positions sociales déterminent les options politiques. N’y a-t-il pas des ouvriers réactionnaires et des ouvriers progressistes ?

Mais surtout, en quoi un tel machin est-il plus pertinent qu’un processus basé sur la confrontation générale des idées et la sélection électorale des porte-paroles ? En quoi est-il plus juste, plus adapté aux défis du moment, que l’élection au suffrage universel d’une Constituante partant des communes avec débat local de tous les citoyens et cahiers de doléances ? Pensera-t-on, suivant en cela l’originalité de Thierry Pech, que ce panel permet un rapport direct à la presse ou aux corps intermédiaires et devient, de ce fait, plus démocratique ? On ne s’étonnera donc pas de voir les journalistes mettre en avant, parmi les tirés au sort, quelques personnages hauts en couleur et dont la verve permet une légitimation médiatique. Sur le fond, ça ne mange pas de pain. Les plateaux télé ont mis en valeur l’effet anesthésiant des « bons clients » qui s’expriment façon micro-trottoir.

Car, finalement, ce sont les médias qui maximisent les effets de cette nouvelle martingale. En observant ses membres comme s’ils s’agissait d’un zoo humain, ils en font un récit édifiant au service de la pensée dominante.

Le miracle de l’expert

Encore plus fort dans le tour de passe-passe ! Non seulement les sélectionnés sont supervisés par deux coprésidents dont personne ne songeraient à penser qu’ils n’ont qu’un rôle d’observation, mais encadrés par douze « pilotes » dont on ignore les critères de sélection. Et ce n’est pas tout : Pour aider à leur travail, les tirés au sort bénéficieront de « fact-checkers », d’« experts » du climat, de la société civile et des acteurs politiques pour « décrire la situation, les enjeux et les obstacles à la lutte contre le changement climatique ». Un comité d’experts juridiques aura de plus pour tâche de « traduire leur volonté en termes juridiques ». Bigre ! C’est vrai que les citoyens sont mieux encadrés que lors des élections où, si l’on en croit nos spécialistes de la « démocratie participative », ils sont tentés par les « dérives populistes ». On voit d’ailleurs mal en quoi cette débauche d’intervenants n’aurait pas son mot à dire dans le cadre d’un processus électoral quelconque si le débat public est respecté.

Mais revenons à la question de savoir pourquoi ils sont ainsi rassemblés. Eh bien, ils doivent répondre à la question « Comment réduire d’au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans une logique de justice sociale » ? Et pour aider à leur réflexion, ils se verront dresser un « état des lieux problématisé de l’action en France » et seront éclairés sur les « leviers et points de blocage ».

Pourquoi diable une telle usine à gaz ? L’artiste Cyril Dion, un de nos nouveaux prophètes, nous apporte la réponse dans We demain le 12 août 2019 : « Se pose aussi le problème de l’opinion… Les politiques se réfugient toujours derrière cet argument, qui est une réalité politique : ils ont besoin de contenter la majorité pour être réélus. C’est le problème de la démocratie représentative : c’est un modèle qui ne convient pas à l’urgence. C’est pourquoi il faut permettre aux gens de délibérer, en leur donnant tous les tenants et les aboutissants des problèmes ». Cette stupéfiante déclaration peut se résumer ainsi : arrêtons de demander aux citoyens leur avis, nous (traduisez par « lui-même ») savons mieux qu’eux quelles sont les bonnes questions. Le peuple est ignorant et mesquin et, entraîné par de petits intérêts, il ne saurait faire face aux défis du moment. Pourquoi, direz-vous, créer alors, par tirage au sort, une sorte d’Assemblée en réduction ? Parce que l’irruption du monde médiatico-artistique comme guide du peuple a besoin d’être légitimé par une assemblée Potemkine, non pas exempte des « petits intérêts », mais évidemment plus facile à contrôler.

La chose n’est pas limitée à la question climatique en France. Les moines guerriers du tirage au sort expliquent à tirelarigot que les expériences positives font florès et que l’exemple de l’Irlande, à partir de 2009, est particulièrement symbolique. Or, s’il est vrai qu’une telle assemblée citoyenne a existé en Irlande, elle a essentiellement mis en avant deux questions, le droit à l’avortement et le mariage homosexuel. Remarquons que l’apparition de ces sujets n’est pas vraiment une originalité et que leur légalisation a été obtenue par référendum, c’est-à-dire par le suffrage universel. En fait, le tirage au sort est un subterfuge pour légitimer la remise en cause de la volonté populaire, tout particulièrement par la sélection préalable des questions acceptables par le système économique dominant. Là encore, au lieu de ce biais bizarre, il aurait été plus simple d’accepter de poser la question de la légitimité de la représentation nationale et, éventuellement, d’un référendum d’initiative populaire, toutes choses qui demandent de remettre en cause les institutions dans un souci réellement démocratique fondé sur le suffrage universel. Cet objectif demande l’appel au peuple tout entier et non à un panel contrôlé par des personnalités miracles.

La fatuité de l’inculture

Mais nos nouveaux apôtres ne veulent pas de ce recours car, comme l’explique Cyril Dion, « si on dit aux gens qu’il faut réduire le nombre de véhicules de 50%, arrêter de consommer, arrêter de prendre l’avion sur les lignes intérieures, arrêter de manger de la viande… Ils ne vont pas être d’accord ». À sa suite, le climatologue François-Marie Bréon clame, dans Libération du 29 juillet 2018, que « Les mesures qu’il faudrait prendre seront difficilement acceptées. On peut dire que la lutte contre le changement climatique est contraire aux libertés individuelles et donc sans doute avec la démocratie. » quand, de son côté, l’astrophysicien Aurélien Barreau, tout en admettant que, face aux questions climatiques, il ne prétend pas « avoir les solutions car il y a des experts bien plus compétents pour ça », explique dans L’Express du 10 octobre 2018 qu’i faudra prendre des « mesures coercitives, impopulaires, s’opposant à nos libertés individuelles ». L’irruption soudaine de Greta Grumberg est alors particulièrement opportune pour supprimer nos principes démocratiques et nos valeurs humanistes. On dira que, de tous temps, sont apparus des prophètes face aux grandes crises. Mais Bernadette Soubirou n’était pas invitée à l’Assemblée nationale. Ceci explique-t-il la relative complaisance des pouvoirs publics face aux blocages d’Extinction Rébellion qui ne peuvent qu’étonner comparés à la répression violente menée contre les Gilets jaunes. Mais sans doute un Cyril Dion expliquera-t-il qu’il y a d’un côté le bien et d’un autre le mal.

Rien ne prouve, et surtout pas les Gilets jaunes, que les gens sont hostiles par principe aux contraintes écologiques. Ils veulent en revanche qu’elle soit juste. S’exercera-t-elle, par exemple, sur les gourous du tourisme de masse ou sur les grands industriels ? Ne doit-on pas voir tout simplement, dans la volonté antidémocratique des nouveaux tribuns, un appui silencieux, peut-être inconscient, à l’émergence d’un capitalisme vert ? Celui-ci est d‘autant plus totalitaire et hostile à tout contrat social qu’il est porté par la bonne conscience et par une marche vers la servitude volontaire.

Le monde traverse une crise profonde, climatique certes, mais aussi philosophique, sociale et géopolitique. La solution n’est évidemment pas simple. Vouloir la régler par la coercition n’est pas un choix d’efficacité, mais un choix philosophique. La question légitime de savoir quel est l’avenir de la planète ne saurait en aucune façon nier celle de l’avenir de l’Humanité.

Les plaisantins qui se réfèrent toujours à Rousseau devaient rappeler qu’avant tout, celui-ci se réfère à la volonté générale, c’est-à-dire à la souveraineté populaire. L’intérêt général n’est pas l’apanage de quelques-uns, mais situé au-delà de tout intérêt particulier.

L’individu doit être un individu responsable, libre et conscient. Il ne s’agit pas de laisser l’humain survivre sous un gouvernement mondial sans contrôle des citoyens. Faute de quoi, nous aurons réussi la prophétie de George Orwell lorsqu’il faisait dire à Big Brother : « Tant que votre but sera de rester vivants, non de rester humains, rien ne changera. Mais, à la qualité d’êtres humains, vous avez préféré celle d’êtres vivants, vous confinant ainsi dans un éternel présent et vous assurant que je serai toujours là. Ne vous en plaignez pas ».

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