Démocratie communale et souveraineté populaire, toujours d’actualité !

, par  Florence Gauthier
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Henri Guillemin s’est beaucoup intéressé à la Commune de 1871 et lui a consacré d’abord un grand nombre de travaux d’approche, pour en mieux saisir le contexte, autour du Second Empire et de Cette curieuse Guerre de 1870, qui l’a beaucoup intrigué et dans laquelle il a retrouvé la haute trahison des classes dominantes [1].

Guillemin a raconté l’histoire de la Commune de 1871 dans une série de conférences et, toujours à la recherche des combats menés par les opprimés, en ressentant la nécessité de mettre en lumière ce qu’il appelle « la dictature des honnêtes gens », des « gens comme il faut », des « gens de bien », pour reprendre les expressions dont ils se paraient eux-mêmes, jusqu’à récemment où le terme « élites » les a remplacées [2].

Et je tiens à remercier l’Association des Ami(e)s d’Henri Guillemin de nous inviter à le relire et à partager son goût pour la justice et la fraternité avec les opprimés.

Ma contribution sera en trois parties : je commencerai par rappeler l’institution démocratique et populaire par excellence que fut la Commune de Paris, avec l’élection de mandataires révocables par les électeurs, puis ce qui, en elle, a tant frappé un de ses contemporains, Karl Marx. Et enfin, j’évoquerai rapidement l’exemple de la Commune de Shanghaï, qui s’est intéressée à la Commune de 1871 dans la Chine de la Révolution culturelle prolétarienne, en 1966-1971.

 I. L’élection de la Commune le 26 mars 1871

L’échec militaire du Second empire, à Sedan, provoqua l’insurrection de Paris et la proclamation de la Troisième république, le 4 septembre 1870. Le nouveau gouvernement capitule néanmoins le 26 janvier 1871 et Paris est assiégé par l’armée prussienne. Le gouvernement de Thiers s’enfuit à Versailles et le 18 mars, à l’appel de la Garde nationale de la Ville, le peuple de Paris s’insurge. Quelques jours après, la Garde nationale qui ne prétend pas exercer le pouvoir, décide d’organiser les élections de la Commune de Paris, qui eurent lieu le 26 mars 1871 [3].

L’Appel aux électeurs parisiens, daté de la veille, le 25 mars 1871 et rédigé par le Comité central de la Garde nationale, met en lumière la question cruciale du système électoral, en précisant la nature des rapports entre électeurs et élus.

Appel aux électeurs parisiens, daté du 25 mars 1871 et rédigé par les membres du Comité central de la Garde nationale
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Le système électoral est, ici, celui du mandataire, du commis de confiance, révocable par les électeurs et responsable devant les électeurs. L’idée de ce système est que l’élu est au service des électeurs. Il ne s’agit pas de rechercher des « stars des médias » comme nos systèmes actuels s’acharnent à les fabriquer, mais des personnes capables d’assurer ce service public par excellence et d’assumer la lourde responsabilité qui va leur incomber. Les électeurs ont donc tout intérêt à trouver des gens de confiance qu’ils connaissent et avec qui ils vont parler du mandat qu’ils leur confient et de leur service futur.

Ce système électoral affirme le principe selon lequel c’est bien aux électeurs de choisir leurs mandataires et non à ces derniers de présenter leur candidature pour se faire élire. L’objectif est de constituer une « représentation populaire », avec des « mandataires », contrôlés par les électeurs et de se choisir « des serviteurs » du peuple et non « des maîtres ».

C’est donc d’une relation de confiance qu’il s’agit : si le mandataire trahit la volonté générale, le vœu des électeurs, il sera tout simplement révoqué et remplacé par un nouveau commis de confiance.

Le projet de la Garde nationale le 25 mars 1871 consistait bien à élire les membres du futur Conseil municipal de la Commune de Paris, dans l’espoir que le mouvement allait suivre dans toute la République, et que prochainement, on élirait la Chambre des mandataires révocables à l’échelle du pays tout entier. Et le Comité central de la Garde nationale de Paris publia également, ce même 25 mars, ses Recommandations, dans lesquelles il expose le projet général à l’échelle nationale cette fois, dont j’extraie le passage suivant :

« Citoyens,

Vous êtes appelés à élire votre assemblée communale (…)

Conformément au droit républicain, vous vous convoquez vous-mêmes, par l’organe de votre comité, pour donner aux hommes que vous-mêmes aurez élus un mandat que vous-mêmes aurez défini (…)

Profitez de cette heure précieuse, unique peut-être pour ressaisir les libertés communales dont jouissent ailleurs les plus humbles villages et dont vous êtes depuis si longtemps privés.

En donnant à votre ville une forte organisation communale, vous y jetterez les premières assises de votre droit, indestructible base de vos institutions républicaines.

Le droit de cité est aussi imprescriptible que celui de la nation ; la cité doit avoir, comme la nation, son assemblée qui s’appelle indistinctement assemblée municipale ou communale, ou commune (…)

Cette assemblée fonde l’ordre véritable, le seul durable, en l’appuyant sur le consentement souvent renouvelé d’une majorité souvent consultée, et supprime toute cause de conflit, de guerre civile et de révolution, en supprimant tout antagonisme contre l’opinion politique de Paris et le pouvoir exécutif central.

Elle sauvegarde à la fois le droit de la cité et le droit de la nation, celui de la capitale et celui de la province (…)

Enfin, elle donne à la cité une milice nationale (…) au lieu d’une armée permanente (…)

Citoyens, vous voudrez conquérir à Paris la gloire d’avoir posé la première pierre du nouvel édifice social, d’avoir élu le premier sa commune républicaine [4]. »

On le voit, le projet était de constituer une république démocratique et sociale à partir de l’organisation des communes dans tout le pays, cellules de base de la vie sociale, économique et politique, et fédérées entre elles dans une Assemblée nationale législative, dont les mandataires seraient aussi des commis de confiance, responsables devant leurs commettants.

Ce système électoral se rattache à une conception de la politique fondée sur le principe d’une souveraineté populaire effective et pas seulement déclarée.

Cette conception de la politique veut établir une forme de gouvernement par le peuple et pour le peuple. Et nous arrivons ainsi au cœur de la politique que je résume en quatre questions :

Quel est le but de la société ? Qui prend la décision ? Qui est le souverain et où se trouve-t-il ? L’État doit-il être séparé de la société ?

- Le but de la société est d’établir une forme de gouvernement par le peuple et pour le peuple. Les moyens sont le débat public le plus large possible et surtout le contrôle des élus par les électeurs, afin de constituer une « véritable représentation populaire ». Et l’objectif que précisent les Recommandations, en cherchant à anticiper les causes « de conflits, de guerre civile et de révolution », est d’établir un état de paix par les moyens de cette politique démocratique qui cherche à associer effectivement le peuple à la prise de décision et cela de façon constante et pas seulement le temps des élections.

- Qui prend la décision en politique ? C’est bien la question cruciale de la politique, car il s’agit de décider. C’est le souverain qui prend la décision, et quelle décision ? Celle de la formation de la loi à laquelle la société doit pouvoir donner son consentement.

- Qui est le souverain ? La Commune affirme que c’est le peuple, à savoir l’ensemble des citoyens réunis pour prendre des décisions, soit directement comme ils l’ont fait en s’insurgeant le 18 mars, soit en commençant à constituer leur société politique en commençant par élire leurs mandataires à la Commune de Paris, puis au niveau national, mais aussi en instituant le contrôle des électeurs par des consultations fréquentes, leur permettant d’exprimer leur consentement aux lois et leur confiance dans leurs mandataires. On comprend que le pouvoir de décider, à savoir le pouvoir législatif, n’est pas réservé à l’assemblée des députés, comme dans certaines constitutions, mais inclut les élus et les électeurs contrôlant les élus.

- Où se trouve le souverain ? Le lieu par excellence de l’exercice de la souveraineté populaire est la commune : pourquoi ? Parce que c’est là que vivent les gens, c’est là que se trouvent les assemblées générales des habitants et que se tiennent les assemblées électorales.

Les Recommandations du Comité central de la Garde nationale nous révèlent que leurs rédacteurs connaissent bien les institutions et les pratiques populaires héritées du Moyen-âge : ces libertés communales, si bien nommées. Et en 1871, les Gardes nationaux savaient que les plus humbles villages de France les pratiquaient toujours ! Ce témoignage est intéressant car il nous apprend que ces institutions démocratiques communales, avec leur système électoral de l’assemblée générale communale, qui choisit ses commis de confiance, révocables en cas de non respect de la mission qui leur a été confiée, appartenaient bel et bien à la culture populaire, ainsi qu’à l’expérience révolutionnaire de 1789-1794 [5]. Et tout naturellement, le Comité central appelle aux élections de la Commune de Paris, en s’appuyant sur la culture et les pratiques populaires, puisqu’il s’agit de constituer, à nouveau, une République démocratique et sociale à souveraineté populaire effective.

- Dernière question : l’État est-il séparé de la société ? Non, en ce qui concerne le pouvoir législatif, ce qui vient d’être rappelé. Quant au pouvoir exécutif, il est formé de délégués des commissions de la Commune, qui préparent les projets de lois sur les différentes questions à résoudre. Ces délégués forment la Commission exécutive, la tête de l’exécutif de la Commune de Paris.

L’idée est la suivante : le pouvoir exécutif est étroitement sous le double contrôle du législatif, formé des élus de la Commune et des électeurs. Pourquoi ? Le pouvoir exécutif est dangereux dès lors qu’il échappe au contrôle du législatif, parce qu’il peut alors interpréter les lois et violer les décisions législatives. Par exemple, de nombreux cas de corruption, grande ou petite, passent par ce type d’absence de contrôle de l’application des lois… La solution consiste à mettre l’exécutif sous le contrôle du législatif, mais non à le supprimer, car l’application des lois est nécessaire !

Si l‘on compare avec notre système actuel, il est clairement énoncé dans l’Article 3 de notre Constitution que : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum [6]. »

Comme on l’aperçoit, on renvoie le souverain au système électoral. Mais celui-ci n’a rien à voir avec celui de la Commune. Nous, nous sommes convoqués à certaines dates bien précises, juste le temps d’élire nos représentants, qui ne sont pas des mandataires révocables.

Ce ne sont pas non plus les électeurs qui les choisissent. Ils sont présentés par le système des partis politiques qui interfère entre électeurs et représentants. Résultat, les candidats ne sont pas choisis par les électeurs, mais par les partis ; ils ne sont pas les mandataires des électeurs, mais de leur parti et ce sont alors les élus des partis qui vont prendre les décisions souveraines, c’est-à-dire la formation des lois…

Où se trouve le souverain dans notre système actuel ? Ce n’est plus le peuple qui est souverain : s’il l’est sur le papier de la Constitution, le système électoral organisé par les partis politiques, l’en empêche. C’est ainsi que le transfert de la souveraineté s’opère du peuple aux élus dans notre système et c’est ainsi que nos élus deviennent nos maîtres.

Il existe des théories politiques qui séparent l’État de la société. La nôtre par exemple, dans laquelle l’État est autonome de la société, sauf à quelques brefs moments qui sont ceux des élections. Une fois faites, l’État est séparé des citoyens et de la société. Les électeurs n’ont plus d’autres recours pour se faire entendre que la pétition, la manifestation, les grèves, les recours juridiques et autres moyens fort compliqués…

Dans l’esprit de la Commune, l’exercice des pouvoirs publics est sous le contrôle bien réel des électeurs grâce à l’institution du commis de confiance, ce mandataire révocable dès qu’il a perdu la confiance de ses électeurs. Ici, ce que le système actuel appelle l’État, la Commune l’entend par l’exercice des pouvoirs publics non séparé du contrôle actif de la société. Et cela peut permettre ce que le Comité central de la Garde nationale souhaite réaliser :

« Cette assemblée fonde l’ordre véritable, le seul durable, en l’appuyant sur le consentement souvent renouvelé d’une majorité souvent consultée et supprime toute cause de conflit, de guerre civile et de révolution. »

L’objectif est bien d’établir la paix civile en constituant des pouvoirs publics contrôlés par les électeurs : on en revient alors à la définition même de la politique, qui a pour fonction d’établir la paix civile en cherchant des solutions politiques, donc pacifiques, aux conflits, par le débat et le consentement et qui bien sûr, reconnaît le primat du pouvoir législatif.

Mais lorsque l’État fait la guerre à la société, la politique a disparu et c’est alors le début de l’instauration d’un état de guerre [7].

 II. L’esprit de la Commune a passionné Karl Marx

Il a cherché à comprendre l’esprit de sa constitution et les a lui-même comparés à ceux de la période 1793, dans l’insistance donnée au primat du législatif sur l’exécutif et à la participation des électeurs à la formation de la loi par le contrôle de mandataires, révocables.

Marx avait déjà développé ces thèmes dans La Critique de la philosophie du droit hégélien, qu’il a écrit probablement en 1843, texte resté inachevé et publié de façon posthume en 1927 [8]. Marx y traite de la constitution et développe sa critique des théories de l’État séparé de la société, dans lesquelles l’exercice des pouvoirs politiques se constitue en dehors du contrôle de la société et en opposition avec elle : c’est bien cette séparation qu’il qualifie de despotique.

Marx a vu dans l’expérience de la Commune de 1871 l’entrée de la société, et si possible tout entière, dans le pouvoir législatif. Le législatif est l’expression même de la conscience sociale. Et lorsque la société sera entrée dans son entier dans le contrôle du pouvoir législatif, elle créera alors un réel état de démocratie.

Le pouvoir législatif doit donc s’imposer à l’exécutif, toujours dangereux dès lors qu’il a la possibilité d’interpréter les lois impunément et d’agir en secret, sans publicité ni débats.

Marx souligne encore, que la constitution de la Commune permettait aux services dits publics de le devenir vraiment :

« Les services publics cessèrent d’être la propriété privée des créatures du gouvernement central (précédent). Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune [9]. »

Ce qui est éclairant sur l’usage des services publics, mais aussi d’une décentralisation réellement démocratique, parce que communale.

Et c’est ainsi que la Commune a renversé l’ancien pouvoir d’État moderne, que Marx qualifie de tyrannique, de parasite qui étouffe la société, et l’a remplacé par une « Constitution communale » qui devait organiser « l’unité de la nation » dans une assemblée nationale formée de « délégués à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs » [10]. Et Marx conclut que la Commune « fournissait à la république la base d’institutions réellement démocratiques » [11].

Et dans son premier essai de rédaction, Marx développe la question de l’État moderne qu’était le Second Empire en France, comme un exemple « d’un État séparé de la société et indépendant d’elle » qui, « par usurpation » est devenu « le maître de la société au lieu d’en être le serviteur ». Pour lui, voilà ce que fut la Commune :

« Ce fut une révolution contre l’État lui-même, cet avorton surnaturel de la société ; ce fut la reprise par le peuple et pour le peuple de sa propre vie sociale. Ce ne fut pas une révolution faite pour transférer ce pouvoir d’une fraction des classes dominantes à une autre, mais une révolution pour briser cet horrible appareil même de la domination de classe. » Et Marx conclut : « Quel que soit donc son (de la Commune) destin à Paris, elle fera le tour du monde. [12] »

*

Dans son livre sur L’imaginaire de la Commune, Kristin Ross [13] offre une étude de courants qui se sont nourris de la Commune et se trouvent indépendants de « l’histoire officielle dictée par le communisme d’État », comme de celle de la Troisième république [14]. Et l’on peut ajouter, de toutes les histoires officielles…

La mémoire d’un événement est une chose, précise Kristin Ross, mais se distingue du mouvement qui se ressource à partir de lui et produit une pensée et des actions créatrices. Il s’agit, ajoute-t-elle d’un prolongement, d’une nouvelle vie qu’elle intègre à l’événement Commune de Paris. Et c’est vrai : cette immense bouffée de liberté que dégage la si brève expérience de la Commune, le sacrifice héroïque des Communards et leur résistance ont, depuis, réveillé ce puissant refus de l’inhumain que même la menace de la mort ne peut faire reculer : « Vivre libres ou mourir ! » Tel est son mot d’ordre…

Marx l’avait ressenti. Plusieurs chercheurs ont noté que l’expérience de la Commune avait eu des incidences sur l’évolution de sa réflexion. Il a en effet repris la question éminemment politique des relations entre l’État et la société comme je viens de l’indiquer. K. Ross insiste sur le fait qu’en 1872, Marx et Engels ont rédigé une nouvelle préface [15] au Manifeste du Parti communiste, intégrant ce que la Commune leur avait révélé, elle « qui, pendant deux mois, mit pour la première fois aux mains du prolétariat le pouvoir politique [16] ». Il ne s’agissait plus de prendre l’appareil de l’ancien État et le faire fonctionner pour son compte, mais, on l’a vu plus haut, de le remplacer par cette « Constitution communale » formée de mandataires révocables.

Marx s’est également intéressé à approfondir la question de la possession communale du sol et les pratiques des communautés villageoises en Russie : ce fut sa rencontre avec Élisabeth Dmitrieff, une jeune russe, qui entra en contact avec lui, à Londres, par l’Internationale, peu avant la Commune et qui lui parla du mouvement des populistes, des anarchistes russes et de leurs liens avec la commune paysanne russe. Élisabeth Dmitrieff participa à la Commune de Paris et y créa l’Union des femmes. Puis, un peu plus tard, Marx entretiendra une correspondance avec Véra Zassoulitch, une amie de Kropotkine, sur des voies possibles pour construire une société socialiste, différemment de ce qu’il avait pensé jusque-là, en privilégiant le « progrès » du capitalisme [17].

 III. « Elle fera le tour du monde »

Enfin, je voudrais rappeler, même rapidement car il s’agit d’un gros morceau d’histoire, la grande « bouffée de liberté » que la Révolution chinoise a ressentie avec l’expérience de la Commune de Paris.

En 1959, Mao Tsé Toung avait renoncé à la présidence de la République chinoise : il était alors très critiqué dans le Parti communiste chinois, à cause de sa politique du Grand bond en avant, et ce furent les partisans d’un courant économiste qui prirent le pouvoir au sein de ce parti unique installé, depuis la Révolution, sur le modèle de l’Union soviétique.

En 1966, Mao Tse Toung lança la Révolution culturelle prolétarienne contre ce courant économiste. Il s’appuya sur l’Armée chinoise et son dirigeant Lin Piao et soutint la création de Gardes rouges venus principalement des universités.

L’objectif de Mao ne visait pas à renverser le parti unique, mais à modifier la politique du parti par un renouvellement de ses membres : il espérait former une triple union en s’appuyant sur les organisations de masse, existant alors dans tous les domaines, sur l’Armée et sur le renouvellement des cadres du parti par le recrutement d’une nouvelle génération.

Ce fut ainsi qu’en Chine une immense campagne fut menée en direction d’une instruction populaire, pour faire connaître la Commune de Paris par les textes de Marx à son sujet.

Mais, dès ses débuts, la Révolution culturelle, menée par ceux que l’on appelait les « rebelles », se heurta à la résistance des cadres du Parti, qualifiés de « conservateurs ». L’armée aussi résista, même si son chef supérieur, Lin Piao, était un des dirigeants rebelles, aux côtés de Mao [18].

Dans l’immense ville de Shanghaï, les luttes furent acharnées, mais offrent des expériences particulièrement riches avec l’union des étudiants, des paysans et des ouvriers pour, non seulement améliorer la production et les conditions de travail, mais aussi s’entraider à comprendre les questions culturelles et politiques.

Une vaste campagne s’ouvrit dans tout le pays pour réaliser les Quatre grands droits, lancés par Zhou Enlaï en 1967, et que la Révolution culturelle se proposait de faire reconnaître : oser prendre la parole, oser parler franchement, oser ouvrir des débats et s’exprimer par voie d’affiche librement. Un vaste mouvement de liberté de pensée et d’expression commençait [19].

En janvier 1967, les rebelles créent la Commune de Shanghaï. De nombreuses organisations de masse se forment avec le nom de Commune dans les universités, les usines, partout, et remplacent ou doublent les anciennes organisations. Leurs élus sont des mandataires révocables « en accord avec les principes de la Commune de Paris » et leur titre ancien de « chef » est remplacé par celui de « serviteur du peuple [20] ».

Des batailles sanglantes eurent lieu entre rebelles et conservateurs, et un petit nombre de rebelles critique jusqu’à l’existence même du Parti unique au pouvoir.

Cette situation va durer dans la plus grande partie du pays, en créant des troubles parfois graves, jusqu’à la reprise en mains par Zhou Enlaï en 1969, qui calme le jeu. Le Parti communiste reconnaît Lin Piao comme successeur de Mao. Et Mao et Zhou Enlaï vont travailler à rétablir la prédominance du Parti. Lin Piao est même abandonné, tente de fuir et meurt dans un accident d’avion en 1971.

Puis, lorsqu’en 1976 Zhou Enlaï et Mao meurent, le Parti restaura le courant conservateur avec Deng Siaoping, réprima les rebelles et opèra une contre-révolution.

La Bande des quatre, nom donné à quatre dirigeants de la Révolution culturelle à Shanghaï, tentèrent de résister, mais furent réprimés et jugés. La contre-révolution l’emportait.

Diverses interprétations ont été données à ces événements et, aujourd’hui, en Chine, on s’y intéresse à nouveau. Et même si les moyens, les objectifs et le contexte de la Commune de Paris et ceux de la Révolution culturelle prolétarienne différaient à bien des titres, il est remarquable de constater que l’esprit de la Commune de Paris, avec sa Constitution communale, a laissé un goût infini d’y revenir.

Texte écrit pour le colloque « Henri Guillemin et la Commune – le moment du peuple ? », Paris, 19 novembre 2016, organisé par l’Association Les Ami(e)s d’Henri Guillemin.

Proclamation de la Commune de Paris sur la place de l’Hôtel de Ville par les membres du Comité central de la Garde nationale - Gravure de A. Lamy pour « Le Monde illustré » du 8 avril 1871 - Exposition « La Commune 1871. Paris capitale insurgée » à l’Hôtel de Ville de Paris (18 mars - 28 mai 2011)

[1Henri Guillemin, Cette curieuse Guerre de 70. Thiers, Trochu, Bazaine, Paris, Gallimard, 1956. Voir la communication dans le présent ouvrage d’Annie Lacroix-Riz qui insiste, elle aussi, sur ce thème.

[2Dans ses recherches sur la Révolution de 1789, Henri Guillemin a été frappé par la supériorité et le mépris de classe que ces termes expriment et dont aimait à se parer la sanior pars, la partie la plus saine du Tiers-état. Ces expressions d’autosatisfaction, qui apparurent à la fin du Moyen-âge, appartiennent à la couche supérieure du Tiers-état cherchant à se distinguer des couches inférieures, et Guillemin les a suivies depuis le XVIIIe siècle. Le terme d’élites les a remplacées depuis la Seconde Guerre mondiale. Voir en particulier son excellent pamphlet publié pour le bicentenaire de la Révolution française, 1789, Silence aux Pauvres ! Arléa, 1987.

[3Voir Charles Rihs, La Commune de Paris, 1871, Paris, Seuil, 1973.

[4Réimpression du Journal officiel de la République française sous la Commune, op.cit., 25 mars 1871. Texte cité par C. Rihs, Op. cit., I, 2, p. 81.

[5Sur les libertés communales, sans oublier leurs franchises, elles furent reconnues au Moyen-âge, à partir du XIe s. Les libertés expriment l’ensemble des droits, dont celui de sujet libre, ni esclave, ni serf, que les paysans imposèrent. Le mot franchise vient du mot franc qui a signifié libre, depuis la chute de l’Empire romain et la suppression de l’esclavage. Et comme la liberté personnelle s’accompagnait alors de la liberté politique, franchise a pris le sens de droit de vote et appartenait aux habitants, des deux sexes, des communautés villageoises, qui s’assemblaient pour organiser leur vie locale. Entre les XIe et XIVe s, le mouvement des chartes de communes, parti des villages, se répandit dans l’ensemble des sociétés du domaine ouest-européen, s’imposa aux seigneurs avec ses libertés et franchises, et fit reconnaître son propre droit par la royauté. Au XIVe s., la royauté française se proposa comme justice d’appel pour arbitrer les conflits entre seigneurs et paysans et créa les États généraux, qui recevaient les doléances de toutes les communautés représentées par leurs commis de confiance, dûment mandatés. Voir Marc Bloch, Les Caractères Originaux de l’Histoire Rurale Française, Paris-Oslo, 1931 et Rois et Serfs, (1920) Paris, La Boutique de l’Histoire, 1996. Ceci pour rappeler que les institutions et les pratiques du mandataire révocable étaient anciennes et bien ancrées dans la conception populaire des institutions juridico-politiques.

[6Voir Les Constitutions de la France depuis 1789, Garnier-Flammarion, depuis 1970.

[7Sur la théorie politique élaboré à partir des libertés et franchises communales, voir par exemple, John Locke, Deux traités du gouvernement, (1690) trad. de l’anglais, Paris, Vrin, 1997, II, 7, De la société politique ou civile, p. 179.

[8Karl Marx, Critique de l’État hégélien, Paris, 10 x 18, 1976.

[9Id., La Guerre civile en France, (1871), Éditions en langues étrangères, Pékin, 1972, 1, p. 69. Cette édition publie le texte que Marx a décidé de publier, et deux essais de rédaction qui l’ont précédés. Le texte original de Marx est en anglais. Les essais préparatoires ont été publiés en anglais et en russe en 1934.

[10Id., Ibid., p. 71.

[11Ibid. p. 73. Sur ce sujet voir Jean-Pierre Faye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, Idées Gallimard, 1982, Chap. Violence, p. 203 et s.

[12Ibid., Premier essai, p. 175, les termes en italique sont en français dans l’original.

[13Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, Paris, La Fabrique, 2015.

[14Id., Ibid., p. 10.

[15Ibid., III, p. 96.

[16Marx-Engels, Manifeste du Parti communiste, Moscou, Ed. du progrès, Préface de 1872, p. 6.

[17Ibid., p. 31 et III, 99 et s. Voir Marx et Engels, Lettres sur le Capital, Paris, Ed. Sociales, 1964, choix de lettres. Marx à V. Zassoulitch, 8 mars 1881 ; Engels à Nicolaï Danielson, 1891-1892, p. 379 - 402.

[18Sur cet épisode, voir Michel Mourre, éd., Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1978, entrée Chine ; Hongsheng Jiang, La Commune de Shanghaï et la Commune de Paris, Paris, La Fabrique, 2014.

[19Hongsheng Jiang, Op. cit., Chap. IV, p. 180.

[20Ibid., II, p. 96.

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