La dénazification dans les milieux catholique et protestant

, par  J.G.
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Ci-dessous, un extrait du livre d’Alfred Wahl, La seconde histoire du nazisme. Dans l’Allemagne fédérale depuis 1945 [1]. Il est tiré du chapitre intitulé « La dénazification par les Alliés (1945-1949) ».


« Quant aux Églises protestantes, c’est en février 1946 seulement que [Émile] Laffon [2] entreprit de les dénazifier. Elles nommèrent elles-mêmes une commission comptant trois ecclésiastiques et trois laïques par secteur. La discrétion y était de mise. La direction de l’Église protestante de Düsseldorf avait fait savoir dès septembre 1945 qu’elle était en mesure de dénazifier par elle-même, en révoquant ou en déplaçant des pasteurs qui avaient trahi leur mission. Elle installa alors sa propre commission pour entendre les accusés, mais il restait possible de faire appel devant la commission juridique de l’Église. Jusqu’à la fin du mois de février 1946, neuf pasteurs seulement, des membres des “Deutsche Christen ” (chrétiens-allemands), c’est-à-dire ralliés au nazisme, furent suspendus. L’autorité militaire et des Allemands eux-mêmes firent alors pression pour obtenir l’élimination d’autres pasteurs dont quatre d’entre eux avaient exercé des fonctions dans le système nazi. L’Église dut obtempérer, et, jusqu’en septembre, 141 cas furent examinés, 50 demeuraient en suspens.

Face aux catholiques, les autorités françaises se trouvaient en territoire familier. Hettier de Boislambert rencontra l’évêque de Trèves dont la position nationale-conservatrice et plus que tolérante vis-à-vis des nazis lui était connue. Le gouverneur français voulait son retrait. Mgr Bornwasser résista puis accepta finalement l’instauration d’une commission, mais sans la présence de laïcs qui durent se résigner à examiner les dossiers des prêtres à la fin de la procédure. La commission identifia 19 curés nazis, dont cinq avaient été membres du parti, et, à la fin de l’année 1946, Bornwasser considéra la dénazification achevée.

L’Église catholique de Limburg indiqua pour sa part que sur les 104 dossiers de prêtres examinés, aucun ne révélait de lien avec le NSDAP, ce qui ne trompa pourtant pas les militaires français qui disposaient de dossiers accusateurs. Pour l’évêché de Spire, l’autorité militaire imposa trois laïcs à la commission et l’évêque protesta contre cette seconde enquête qui révélait que 167 des 435 prêtres avaient adhéré à l’une ou à l’autre organisation nazie, dont l’un aux SS.

Au Palatinat, l’évêque protestant, Ludwig Diehl, avait été membre des Deutsche Christen et décoré par les nazis. Après sa révocation, il put reprendre un poste de pasteur. L’occupant força les responsables de l’Église protestante à épurer le Oberkirchenrat (Conseil supérieur) trop acquis aux nazis avant 1945, et, à l’issue d’une résistance tenace, de hauts dignitaires partirent à la retraite. Et pourtant, la dénazification, close en mai 1947, offrait des résultats accablants.

En Bade, la seconde phase de la dénazification débuta au moment où les responsables français étaient pointés du doigt pour leur laxisme. Le New York Times révéla que des Allemands dénazifiés de la zone américaine cherchaient refuge en Bade du sud : l’indulgence française était une réalité. La commission d’enquête du cercle de Lahr-campagne était entrée en action le 7 octobre. Elle comprenait des militants politiques de l’époque de Weimar et des membres issus de l’Antifa. Les travaux furent quasi achevés à la fin du mois d’avril 1946. De leur côté, les commissions d’épuration formées en partie de victimes des nazis avaient démarré leur activité simultanément. Or un criminel des camps de concentration avait réussi à s’y insinuer.

En pratique, certaines commissions d’enquête considèrent leur mission comme d’ordre purement technique et préconisèrent mécaniquement la rétrogradation des fonctionnaires au niveau où ceux-ci se situaient avant leur entrée au NSDAP. D’autres commissions se montrèrent en revanche plus sévères, sauf à l’encontre des fonctionnaires de rang élevé, paralysées par une déférence traditionnelle envers la hiérarchie. Dans le cercle de Lörrach-campagne, par exemple, seuls les petits fonctionnaires furent visés. Selon un rapport, sans doute peu fiable, de décembre 1945, la dénazification avait été bien accueillie par une grande partie de la population.

En Bade, les Français tentèrent de créer, mais en vain, des écoles d’administration pour former de nouveaux fonctionnaires, afin de remplacer les révoqués. Mais l’occupant et l’administration allemande s’entendirent pour ménager le personnel dit « indispensable », par le biais de sursis à l’exécution des sanctions. Et certains ministères n’hésitèrent pas à engager des personnels révoqués par d’autres.

Dans ce territoire, sur le plan économique, certaines entreprises étaient quasiment à l’abri de la dénazification en dépit du comportement passé de leurs dirigeants. Laffon aurait voulu nationaliser ou transformer ces entreprises en coopératives, mais dut renoncer lorsqu’il s’avéra que des capitaux suisses y avaient été investis. D’ailleurs, les syndicats observaient avec méfiance le changement de la nature juridique des entreprises. »

Alfred Wahl

[1Alfred Wahl, La seconde histoire du nazisme. Dans l’Allemagne fédérale depuis 1945, Éditions Armand Colin, Paris, 2006, p. 31 à 33.

[2« À la fin du mois de juillet [1945], Émile Laffon fut alors nommé administrateur général auprès du Gouvernement militaire en zone française d’occupation (GMZFO). Ancien résistant et directeur général au ministère de l’Intérieur, il avait une expérience de l’épuration en France. » p. 28.

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