Pour la souveraineté du peuple Nous sommes tous des constituants

, par  André Bellon
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Ci-dessous, un extrait de l’ouvrage Pour la souveraineté du peuple. Nous sommes tous des constituants, d’André Bellon et Jean-Pierre Crépin, éditions L’Harmattan, mai 2021, 126 p.

AB, Paris le 10 novembre 2020 :

Tu as raison, Jean-Pierre, d’insister sur l’importance et le sens du mouvement des gilets jaunes. C’est devenu une facilité dans les échanges politiques de traiter ceux qui vous dérangent d’archaïques et de se présenter soi-même comme moderne. De telles méthodes sont le niveau zéro de la politique. Elles sont, de plus, une marque de mépris, de supériorité et coupent court à tout débat constructif. Tous ceux qui contestent sont des hérétiques.

J’emploie exprès ce mot « hérétique », pourquoi ? Parce que le mot hérésie fait référence à un choix (haereo en grec signifie choisir). Il y a huit siècles, Thomas d’Aquin imposait ainsi la recta ratio, la pensée « juste » conforme au dogme et à l’ordre existant. Il rangeait l’esprit critique et la raison humaine dans le bagage des hérétiques. « L’hérésie est une espèce d’infidélité » [1]. Les déclarations sur la mondialisation ou la construction européenne permettent de découvrir ses héritiers ; ils n’analysent pas, ils assènent, ils fulminent des anathèmes ; ainsi, quiconque rejetait en 2005 le projet de « Constitution pour l’Europe » était, pour Michel Rocard « malhonnête », pour Daniel Cohn-Bendit : « organisateur de complot » [2].

Disons donc tout de suite que si les gilets jaunes ont eu tout de suite tellement d’impact, c’est parce que leur simple présence était une atteinte au discours officiel. On peut donc dire qu’une des raisons de la répression qui les a frappés tenait à la volonté de les nier en tant que force de propositions et même d’existence. Car ils sont, dans le monde dit moderne, les vrais invisibles, ceux dont on ne parle jamais. Le sens profond de la répression était alors la volonté de les gommer, de les rejeter hors de l’histoire.

On ne peut que remarquer en quoi cette volonté de négation rejoint la pensée transhumaniste et même toute la pseudo-philosophie qui sert aujourd’hui de prêt à penser. Parler de philosophie est d’ailleurs trop aimable tant le discours dominant est plus une avalanche d’injonctions morales de 4 sous qu’une pensée construite. De nos jours, on ne critique pas une thèse, on nie son existence. Or les gilets jaunes faisaient surgir une pensée inadmissible.

Pourquoi ? Évidemment parce qu’ils contestaient les pratiques économiques et leurs conséquences sociales. Mais, plus profondément, parce qu’ils ont réintroduit dans le discours politique un mot tabou, voire méprisé : « peuple ». Ce faisant, ils remettaient en cause toute une organisation politique, justement fondée sur la disparition de la « politique » en tant que reconnaissance du rôle du citoyen et du débat auquel celui-ci participe en tant que membre du peuple souverain. Qui plus est, ils faisaient apparaître l’inanité de certains concepts. Ainsi en est-il du peuple européen qui n’existe pas ou du gouvernement mondial qui n’est qu’une vision totalitaire de la vie publique. Les gilets jaunes ont été, en France, en quelque sorte, le premier grand mouvement populaire contre la mondialisation.

Certains trouveront une telle analyse excessive, alors même que les prêches mondialistes ne les gênent habituellement pas. En fait, ce qui dérangeait les soutiens de la pensée conforme, c’est d’être soudain contraints de débattre autour de thèmes qu’ils étaient unanimes à considérer comme des dogmes. C’est une pratique malheureusement très ancienne que de liquider par la force ce qu’on ne veut pas, ou ne peut pas, contester dans le cadre du débat démocratique.

Parallèlement, tout un discours se mettait en place en vue de déconsidérer le mouvement des gilets jaunes, traités de racistes, d’antisémites, ... ce qui, très marginal, ne pouvait certainement pas caractériser le mouvement. Qui plus est, des violences créées par des casseurs étaient attribuées aux gilets jaunes sans autre analyse. Nous n’insisterons pas plus sur le rôle malfaisant des médias qui répercutent ces visions sans aucune distance.

Ces fameux médias après une longue période de critiques d’ailleurs souvent hypocrites, font maintenant semblant de s’interroger quant au débouché du mouvement. Le problème est que les gilets jaunes ne sont pas, en eux-mêmes, un mouvement politique. Ils sont inévitablement composites et, s’ils peuvent trouver une synthèse, s’ils ont obligé à repenser « peuple », ils ne peuvent pas, à eux seuls, représenter l’ensemble du peuple.

C’est pourquoi la revendication du RIC a été aussi forte chez les gilets jaunes. Elle fait synthèse et symbolise la volonté populaire. Cela étant, aussi forte et aussi justifiée que soit l’aspiration au RIC, celui-ci ne peut résumer toute l’organisation de la vie politique. Et autant les gilets jaunes ont toute leur place dans la reconstruction de la vie publique, autant ils doivent s’intégrer au sein de l’ensemble de la société, y compris dans leur diversité.

C’est pourquoi, à mon sens, le combat pour l’élection d’une Constituante en France est un débouché pertinent à leur lutte. Il est rassembleur en prenant comme objectif la souveraineté du peuple. Il intègre les gilets jaunes dans le corps politique global qui s’appelle justement le peuple. Il caractérise le rôle démocratique et pacifique de leur combat. En ce sens, il permet de renverser les responsabilités en caractérisant leurs adversaires comme hostiles à la démocratie.

L’action des gilets jaunes peut maintenant s’intégrer dans le combat général pour la démocratie. Qui est alors archaïque ? Celui qui rêve d’une société d’experts ou de surhommes conduisant le monde ou celui qui souhaite une société donnant à chacun sa place et son rôle de citoyen libre et responsable pour faire face aux défis ? Remercions les gilets jaunes d’avoir obligé à ce que la question soit posée.

[1Thomas d’Aquin La somme de théologie.

[2Le Parisien , 21 septembre 2004.

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