Hugo : Les Châtiments et les Misérables

, par  J.G.
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Peinture de Bonnat, XIXe siècle. Maison de Victor Hugo, Paris.

"Sans la justesse de l’expression, pas de poésie." Hugo

Victor Hugo (1802-1885) fut un écrivain et un homme politique qui a traversé presque tout le XIXe siècle. Il fut d’abord royaliste, pour devenir ensuite républicain.

"La République est une idée, la République est un principe, la République est un droit. La République est l’ incarnation même du progrès." Hugo, 18 juillet 1851

Sous la Deuxième République, élu député, il se montra favorable au suffrage universel, à la liberté de la presse et sensible au sort des ouvriers. En 1851, il condamna le coup d’Etat de Louis-Napoléon et dut quitter la France. Exilé dans les îles anglo-normandes de Jersey puis de Guernesey de 1852 à 1870, Victor Hugo se fit le grand accusateur du Second Empire et de Napoléon III dans les poèmes des Châtiments publiés en 1853. En 1862, son roman fleuve Les Misérables manifeste son intérêt pour l’humanité victime de la misère et de l’injustice.

Caricature De Daumier, Le Charivari

Caricature De Daumier, publiée dans Le Charivari, 16 novembre 1870.


- Un extrait des Misérables, Gavroche sur les barricades :

(En juin 1832, des parisiens se soulèvent contre la monarchie de Juillet et dressent des barricades. Les troupes de Louis-Philippe tirent sur les insurgés. Gavroche, l’enfant des rues, profite d’une accalmie pour récupérer les cartouches des soldats morts devant la barricade.)

« Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d’un mort à l’autre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix. De la barricade, dont il était encore assez près, on n’osait lui crier de revenir, de peur d’appeler l’attention sur lui. Sur un cadavre, qui était caporal, il trouva une poire à poudre. - Pour la soif, dit-il, en la mettant dans sa poche. A force d’aller en avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait transparent. Si bien que les tirailleurs de la ligne rangés et à l’affut derrière leur levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l’angle de la rue, se montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée. Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. - Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier. Gavroche regarda, et vit que cela venait de la banlieue. Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’oeil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :

On est laid à Nanterre,

C’est la faute à Voltaire,

Et bête à Palaiseau,

C’est la faute à Rousseau.

Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne. Là, une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta :

Je ne suis pas notaire,

C’est la faute à Voltaire ;

Je suis petit oiseau,

C’est la faute à Rousseau.

Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet :

Joie est mon caractère,

C’est la faute à Voltaire ;

Misère est mon trousseau,

C’est la faute à Rousseau.

Cela continua ainsi quelque temps. Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin lui donnait une pichenette. Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l’Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c’est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n’était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était venu le coup, et se mit à chanter :

Je suis tombé par terre,

C’est la faute à Voltaire,

Le nez dans le ruisseau,

C’est la faute à...

Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler. »

Illustration des Misérables, A. Willette

Illustration des Misérables, A. Willette, Maison de Victor Hugo, Paris.

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