Les dirigeants "socialistes" ont oublié Jaurès à propos de la laïcité

, par  J.G.
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« La liberté républicaine, qui donne à tout citoyen le droit et qui lui crée le devoir d’intervenir dans la conduite des affaires publiques, qui l’oblige sans cesse à avoir une opinion et une volonté, est donc un incessant appel, en tous les hommes, à la force de la pensée, à la force du vouloir. Elle est donc la grande et universelle éducatrice.
Mais cette éducation par la liberté serait insuffisante, elle investirait les citoyens de droits et de devoirs supérieurs à leurs facultés, si la nation ne mettait pas tous les citoyens en état de se reconnaître dans la complication des événements, et de dégager de la contrariété des égoïsmes le droit de chacun et l’intérêt pour tous.
C’est pourquoi l’éducation de tous par la liberté républicaine doit être soutenue de l’éducation de tous par l’école, mais par l’école de la nation et de la raison, par l’école civile et laïque. Oui, c’est là ce qu’à peine sortis du gouffre, criaient, il y a trente-quatre ans, les républicains et les patriotes : “Refaire la France par l’éducation de tous, et éduquer tous les citoyens par la République et par l’école, la souveraineté agissante pour tous, la lumière pour tous, la responsabilité pour tous”.

[...]
Or, il n’y a pas égalité des droits si l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est pour lui une cause de privilège ou une cause de disgrâce. Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale. Elle ne demande pas à l’enfant qui vient de naître, et pour reconnaître son droit à la vie, à quelle confession il appartient, et elle ne l’inscrit d’office dans aucune Église. Elle ne demande pas aux citoyens, quand ils veulent fonder une famille, et pour leur reconnaître et leur garantir tous les droits qui se rattachent à la famille, quelle religion ils mettent à la base de leur foyer, ni s’ils y en mettent une. Elle ne demande pas au citoyen, quand il veut faire, pour sa part, acte de souveraineté et déposer son bulletin dans l’urne, quel est son culte et s’il en a un. Elle n’exige pas des justiciables qui viennent demander à ses juges d’arbitrer entre eux, qu’ils reconnaissent, outre le Code civil, un code religieux et confessionnel. Elle n’interdit point d’accès de la propriété, la pratique de tel ou tel métier, à ceux qui refusent de signer tel ou tel formulaire et d’avouer telle ou telle orthodoxie. Elle protège également la dignité de toutes les funérailles, sans rechercher si ceux qui passent ont attesté avant de mourir leur espérance immortelle, ou si, satisfaits de la tâche accomplie, ils ont accepté la mort comme le suprême et légitime repos.
[...]
Que les citoyens complètent, individuellement, par telle ou telle croyance, par tel ou tel acte rituel, les fonctions laïques, l’état civil, le mariage, les contrats, c’est leur droit, c’est le droit de la liberté. Qu’ils complètent de même, par un enseignement religieux et des pratiques religieuses, l’éducation laïque et sociale, c’est leur droit, c’est le droit de la liberté. Mais, de même qu’elle a constitué sur des bases laïques l’état civil, le mariage, la propriété, la souveraineté politique, c’est sur des bases laïques que la démocratie doit constituer l’éducation.
La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance ; et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté de l’homme. Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce droit de l’enfant.
Comment l’enfant pourra-t-il être préparé à exercer sans crainte les droits que la démocratie laïque reconnaît à l’homme si lui-même n’a pas été admis à exercer sous forme laïque le droit essentiel que lui reconnaît la loi, le droit à l’éducation ? Comment plus tard prendra-t-il au sérieux la distinction nécessaire entre l’ordre religieux qui ne relève que de la conscience individuelle, et l’ordre social et légal qui est essentiellement laïque, si lui-même, dans l’exercice du premier droit qui lui est reconnu et dans l’accomplissement du premier devoir qui lui est imposé par la loi, il est livré à une entreprise confessionnelle, trompé par la confusion de l’ordre religieux et de l’ordre légal ? Qui dit obligation, qui dit loi, dit nécessairement laïcité.

[...]
Ouvriers de cette cité, ouvriers de la France républicaine, vous ne préparerez l’avenir, vous n’affranchirez votre classe que par l’école laïque, par l’école de la République et de la raison. » Jean Jaurès, extraits de son discours pour la distribution des prix au collège de sa jeunesse, à Castres, le 30 juillet 1904.

Source : Jaurès, Rallumer tous les soleils, édition Omnibus, 2006, p. 574, 576 à 578, 584.

Duodi 22 Messidor an CCXVIII

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