Un geste choquant. Non à la normalisation du Rassemblement national. Restons vigilants.

, par  Jacques Lewkowicz, Tribune libre
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Le 13 octobre dernier, Serge et Beate Klarsfeld se rendent à Perpignan pour remettre la Légion d’honneur à Philippe Benguigui, président de l’association Zakhor, Pour la mémoire du camp de Rivesaltes. À cette occasion, le maire de la ville, dirigeant du Rassemblement national, Louis Aliot, propose à Serge Klarsfeld de lui remettre ainsi qu’à son épouse Beate, la médaille les faisant tous deux citoyens d’honneur de la Ville, ce qu’ils acceptent.

L’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), comme beaucoup d’autres, ne comprend pas cette acceptation. Cette cérémonie a engendré énormément d’incompréhension, de questionnements, voire de colère, d’autant que durant la campagne électorale des dernières municipales, M. Benguigui s’était mis en retrait de sa représentation locale des Fils et filles des déportés juifs de France (FFDJF) pour soutenir à temps plein la candidature de Louis Aliot.

Face aux nombreuses réactions, Serge Klarsfeld a tenté de se justifier. Ainsi, dans un entretien accordé à Sonia Devillers (France Inter) le 21 octobre 2022, il explique que la « droite extrême » n’est plus un ennemi politique mais un adversaire, qu’il vaut mieux que cette droite extrême se rapproche de la droite plutôt que l’inverse, que l’ADN constitutif de l’extrême droite est exclusivement l’antisémitisme et que Louis Aliot et Marine Le Pen ne sont pas antisémites puisqu’ils ont condamné la rafle du Vel’ d’Hiv.

L’UJRE, qui a toujours soutenu de toutes ses forces le formidable combat mené pendant plusieurs décennies par le couple Klarsfeld, se trouve désemparée et choquée, et observe avec grande inquiétude une telle dérive. Elle porte à votre connaissance la lettre ouverte à Serge Klarsfeld, que lui ont adressée Denis Peschanski (historien, directeur de recherche au CNRS – CESSP, France) et Renée Poznanski (historienne, professeur émérite (Université Ben Gourion du Néguev, Israël), qu’elle approuve sans réserve.

L’UJRE
Paris, le 24 octobre 2022


LETTRE OUVERTE À SERGE KLARSFELD

Cher Serge,

Tu sais l’estime que nous te portons, nous avons un immense respect pour la minutie de ton travail historique et nous sommes redevables de tes avancées sur l’histoire des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale. Les inlassables militants que vous êtes, Beate et toi, ont profondément transformé le paysage mémoriel en France et c’est en large partie grâce à vous deux que les Français ne peuvent plus ignorer un passé qui fait tache dans le pays des Droits de l’homme ; grâce à vous deux que la Shoah est désormais inscrite dans la mémoire collective et constitue un repère historique qui doit ou qui devrait nous préserver de tout dérapage raciste ou antisémite.

Logiquement, et avec beaucoup de courage, tu as rappelé à plus d’une reprise que l’extrême droite était un danger pour la démocratie et devait rester hors consensus. Vous l’avez fait, l’un et l’autre, à Berlin en vous adressant directement aux jeunes Allemands et tu n’as jamais manqué de rappeler jusqu’à maintenant que la mue préconisée par la dirigeante du Rassemblement national ne modifiait en rien la nature de son parti. L’extrême droite reste l’extrême droite, les militants sont les mêmes, les points d’ancrage idéologique n’ont guère changé et quelque soit l’habillage conjoncturel de leurs discours, la vigilance reste de rigueur.

Alors, c’est vrai : Marine Le Pen n’est pas son père et il est un point (qui n’est pas de détail) sur lequel elle diverge publiquement des provocations du passé, un point qui est essentiel à tes yeux comme il l’est aux nôtres. La tragédie vécue par les Juifs n’est plus niée ou minimisée ; la dirigeante du RN participe sans faux pas aux commémorations qui rendent hommage aux victimes de l’acharnement des occupants nazis, aidés par leurs collaborateurs français.

Jusqu’à maintenant, cela ne t’a pas conduit pourtant à légitimer un parti dont toutes les composantes continuent de prôner la préférence nationale, un parti dont de nombreux membres ne cessent de dénoncer le prétendu « grand remplacement », un parti populiste qui entretient des relations suivies avec les pires mouvements qui, malheureusement, continuent de gagner en puissance dans l’Europe d’aujourd’hui au nom d’une démocratie « illibérale  » qu’ils instaurent lorsqu’ils parviennent au pouvoir.

Tu n’étais pas dupe de la soi-disant normalisation d’un parti qui est tout sauf normal dans notre démocratie.

Jusqu’à maintenant...

Car en acceptant de recevoir des mains de Louis Aliot la Médaille de la Ville de Perpignan, qui plus est, en intervenant ainsi dans les débats internes du Rassemblement national, tu contribues à légitimer ce Parti, tu apportes la caution de ton prestige à la normalisation dont tu contestais avec justesse la crédibilité dans tes interventions passées et encore récentes.

Comment peux-tu imaginer influer en quoique ce soit sur les choix de ce parti et de ses militants ? C’est triste et c’est grave. Et ça l’est d’autant plus qu’en agissant de la sorte, tu sembles avaliser l’idée selon laquelle seule l’attitude à l’égard de la Shoah est pertinente pour évaluer la place idéologique et politique qui est celle d’un mouvement ou d’un parti. Il serait donc facile de s’affranchir de tout un héritage idéologique en se contentant de payer son respect aux victimes juives de la Shoah. Nous savons que ce n’est pas là ton propos, mais c’est l’implication directe d’un geste qui nous choque profondément et nous attriste.

Avec notre amitié.

Denis Peschanski et Renée Poznanski
Paris, le 17 octobre 2022

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