Violence et société sous contrôle dans l’Empire américain

, par  John Groleau
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Second amendement de la Constitution des États-Unis : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé".

Ce IIe amendement est un amendement garantissant le droit pour tout citoyen américain au port des armes. Adopté le 15 décembre 1791, il fait partie, comme les neuf autres amendements de la Constitution américaine, de la Déclaration des droits, communément appelée Bill of Rights. "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un Etat libre" peut être sujet à interrogation

Bruce Willis, OtageDepuis plus de deux cents ans, cette "culture" des armes est présente dans la société américaine. Aujourd’hui encore, à travers toutes les séries américaines et les productions hollywoodiennes présentes sur nos petits ou grands écrans, la violence de la société américaine est mise en avant.

Cette vision de la société est défendue depuis fort longtemps aux Etats-Unis, avec par exemple La National Rifle Association (NRA), lobby en faveur des armes à feu. Cette organisation s’est implantée dans l’Etat de New York en 1871 et revendique aujourd’hui plus de quatre millions de membres. Il me semble intéressant de noter que cette organisation fut créée après l’expansion territoriale des Etats-Unis (1803-1867).

Après certains massacres relayés aujourd’hui à travers le monde par les médias, la question de faire disparaître ce Second Amendement revient systématiquement. Il me semble évident que celui-ci devrait être supprimé, car il est indigne de toute société dite "civilisée". Alors pourquoi cela n’a-t-il pas été encore fait ? A cause des lobbys ? A cause de cette Constitution qui est pratiquement impossible à modifier [1] ? A cause de la "culture" des armes ? A cause du fait que les Américains ne sont pas capables de résoudre des conflits sans établir des rapports de force extrêmes ? Et si tout simplement, depuis le début, les dirigeants des Etats-Unis avaient compris que pour maintenir la cohésion de leur "pays", celle-ci ne pourrait pas se faire sans la violence comme cela a toujours été le cas dans tous les empires de l’Histoire...

 États-Unis : l’Empire américain

Oui, les États-Unis, comme autrefois l’URSS, sont un empire. Je vous invite à lire l’excellent document L’Expansion territoriale des États-Unis (1803-1867) de Jacques Leclerc pour en être convaincu ; le XIXe siècle étant caractérisé par l’expansion coloniale et l’impérialisme. Je me contenterai de vous donner ce petit extrait de ce document : "Le Bureau des Affaires indiennes finit par aboutir à la même politique : le refoulement progressif des autochtones vers l’Ouest. L’expression couramment utilisée à l’époque pour désigner cette éviction systématique était le ’move of Indians’ (’déplacement des indiens’), qui deviendra le ’removal of Indians’ (’déportation’ ou ’expulsion’ des Indiens). Ces ’déplacements’ étaient considérés comme nécessaires pour permettre l’ouverture de vastes territoires à l’agriculture, au commerce, aux marchés, à l’argent, autrement dit au développement d’une économie blanche, capitaliste et moderne, pour ne pas parler du développement de la ’civilisation’. Un article publié dans la North American Review de 1830 justifiait ainsi le déplacement des Indiens : ’Un peuple barbare, dépendant pour sa subsistance des produits aussi chiches que précaires de la chasse, ne peut survivre au contact d’une communauté civilisée.’ [2]"

L'europe et le monde en 1815

L'europe et le monde en 1914

 La population carcérale la plus importante du monde

En 2002, la population carcérale aux États-Unis comptait près de 2,1 millions de personnes. Les États-Unis ont le plus grand nombre relatif de prisonniers de toutes les nations qui ont des statistiques à ce sujet : 686 prisonniers pour 100 000 personnes. A titre d’exemple, le taux en Angleterre et en Écosse est par exemple de 139 pour 100 000, et en Norvège il est de 59 pour 100 000. En France, 96 pour 100 000 en 2005. La population carcérale en Chine était de 111 pour 100 000 en 2001 (personnes condamnées).

Aux États-Unis, le nombre des détenus a fortement augmenté à partir des années 1980, après l’entrée en vigueur des lois anti-drogues qui imposaient des peines de prison minimales incompressibles. En 2004, 25% des prisonniers du "pays" l’étaient pour trafic ou consommation de drogue et la moitié des détenus étaient des Afro-Américains et un quart des Latinos.

 La Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant non ratifiée et non respectée par les États-Unis

Convention internationale des droits de l'enfant

Selon une étude de Human Rights Watch (HRW) et Amnesty international (AI) publiée le 12 octobre 2005, au moins 2 225 détenus qui étaient mineurs au moment des faits pour lesquels ils ont été condamnés, purgent une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Cet élément est en contradiction avec la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant, Convention qui n’est pas ratifiée par les États-Unis

Selon cette même étude, c’est aux États-Unis que sont détenus à vie le plus de personnes sans possibilité de libération conditionnelle pour des crimes commis alors qu’ils étaient mineurs. Seuls trois autres pays, parmi les 154 où l’étude a pu être menée, autorisent ce type de condamnation, ce sont : l’Afrique du Sud, la Tanzanie et Israël. C’est en Virginie, en Louisiane et au Michigan que l’on trouverait les plus forts taux de condamnations de ce type. Certains détenus ont été condamnés pour des crimes moins graves que des meurtres.

 La société sous contrôle

Big brother is watching you

Big Brother [3] est partout. Le 2 février 2001, dans l’International Herald Tribune, Tom Colatosti, président de Visage Technology, révéla qu’ "au cours des dix dernières années, chaque fois que vous êtes entré dans un restaurant McDonald’s, une boutique Dunkin’Donuts ou que vous vous êtes arrêté à une station-service, votre visage a été photographié. Et non seulement il a été photographié, mais il a été stocké dans une banque d’images..." Les salariés des grandes entreprises aux Etats-Unis sont étroitement surveillés : "Aux Etats-Unis, 78% des grandes entreprises ont installé des systèmes de surveillance interne pour contrôler, stocker et analyser les messages électroniques de leurs salariés. 46% de ces entreprises ont sanctionné des employés qui avaient eu recours au courrier électronique ou avaient utilisé internet dans un but personnel [4]". La loi américaine de 1974 sur le respect de la vie privée par l’administration publique (Privacy Act) n’a jamais pu être étendue au secteur privé [5]. La vidéo-surveillance ne saurait porter atteinte à l’honneur des salariés, juge-t-on, puisqu’ils sont censés n’effectuer que des gestes professionnels... Le contrôle aléatoire de la présence de drogue dans le sang est le fait de 71% des entreprises américaines, tandis que 33% pratiquent des tests psychologiques cherchant à connaître les pensées intimes et les attitudes [6]. En 1996, une étude de deux chercheurs de l’université de l’Illinois, David F.Linowes et Ray C.Spencer, montra qu’un quart des cinq cents compagnies suivies par la revue Fortune livraient des informations confidentielles sur leurs employés aux agences gouvernementales, que les deux tiers renseignaient les créanciers, alors que les trois quarts interdisaient aux employés l’accès à leur propre dossier professionnel, et, pour un quart, à leur dossier médical [7]. Et cela va encore plus loin avec la "traque génétique" : "Mais qu’importe au chasseur de gènes puisqu’il est porté par la foi selon laquelle ceux-ci seraient porteurs d’une intention première, vouant les êtres à la prédestination. C’est à une idée voisine que l’on doit le fichage génétique [...] de tous les nouveau-nés par l’État de Californie. Ou encore les trois millions de fiches génétiques dont le Pentagone dispose, notamment sur ses propres employés, cela dans un pays dont la Constitution garantit pourtant les citoyens contre ’les fouilles et les détentions abusives’ (quatrième amendement). [8]"

 La "tolérance zéro" et la criminalisation de la misère

Dans son article Ce vent punitif qui vient d’Amérique (Le Monde diplomatique, avril 1999), Loïc Wacquant nous donne un aspect de la "tolérance zéro" aux États-Unis. Je vous en donne quelques extraits : "Au début des années 1990, le Manhattan Institute organise une conférence puis publie un numéro spécial de sa revue City sur la ’qualité de vie’. L’idée-force en est que l’ ’inviolabilité des espaces publics’ est indispensable à la vie urbaine et, a contrario, que le ’désordre’ dans lequel les classes pauvres se complaisent est le terreau naturel du crime. Parmi les participants à ce ’débat’, le procureur vedette de New York, M.Rudolph Giuliani, qui vient de perdre les élections municipales face au démocrate noir David Dinkins et qui va puiser là les thèmes de sa campagne victorieuse de 1993. En particulier les principes directeurs de la politique policière et judiciaire qui fera de New York la vitrine mondiale de la doctrine de la ’tolérance zéro’ accordant aux forces de l’ordre un blanc-seing pour pourchasser la petite délinquance et repousser les sans-abri dans les quartiers déshérités.

C’est encore et toujours le Manhattan Institute qui, dans la foulée, vulgarise la théorie dite ’du carreau cassé’, formulée en 1982 par James Q. Wilson et George Kelling dans un article publié par le magazine Atlantic Monthly : adaptation du dicton populaire ’qui vole un oeuf vole un boeuf’, cette prétendue ’théorie’ soutient que c’est en luttant pied à pied contre les petits désordres quotidiens que l’on fait reculer les grandes pathologies criminelles. Jamais validé empiriquement, ce postulat sert d’alibi à la réorganisation du travail policier impulsée par M.William Bratton, le responsable de la sécurité du métro de New York promu chef de la police municipale.

Objectif de cette réorganisation : apaiser la peur des classes moyennes et supérieures - celles qui votent - par le harcèlement permanent de pauvres dans les espaces publics (rues, parcs, gares, bus et métro, etc.).

À cela trois moyens : le décuplement des effectifs et des équipements des brigades, la dévolution des responsabilités opérationnelles aux commissaires de quartier avec obligation chiffrée de résultat et un quadrillage informatisé (avec fichier central signalétique et cartographique consultable sur les micro-ordinateurs de bord des voitures de patrouille) qui permet le redéploiement continuel et l’intervention quasi instantanée des forces de l’ordre, débouchant sur une application inflexible de la loi, particulièrement à l’encontre des nuisances mineures tels l’ébriété, le tapage, la mendicité, les atteintes aux moeurs et ’autres comportements antisociaux associés aux sans-abri’, selon la terminologie de George Kelling."

 Conclusion du canard républicain

Entre les technologies de surveillance, la "tolérance zéro" et la criminalisation de la misère, l’objectif des dirigeants politiques et des personnes qui se cachent derrière ces derniers - milliardaires, grands patrons, etc. - , me semble assez clair : tenir sous contrôle de larges pans de la population - en particulier les dissidents, les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes, les leaders étudiants, les syndicalistes...- afin d’éviter la remise en cause du système qui pourrait aboutir à une... révolution !

[1La procédure de révision est tellement complexe (vote de chacune des deux Chambres à la majorité des deux tiers, puis ratification par les trois quarts des Etats) qu’il suffit de treize Etats ne représentant que 5% de la population pour bloquer toute modification susceptible d’être désirée par 95% des Américains. Source : l’article de Daniel Lazare, Cette pesante Constitution américaine, février 2000, Le Monde diplomatique.

[2Leclerc, Jacques. L’Expansion territoriale (1803-1867) dans L’Aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, université Laval, 30 avril 2007,http://www.tlfq.ulaval.ca/AXL/amnord/usa_6-4histoire.htm

[3George Orwell, 1984, Folio n°822, Gallimard, Paris, 2000.

[4Source : l’article d’Ignacio Ramonet, Tous fliqués !, introduction du n°56 de Manière de voir - Sociétés sous contrôle - (mars-avril 2001), supplément du Monde diplomatique, qui a repris des propos tenus dans le journal Cambio 16, Madrid, 5 février 2001.

[5David Lyon, Elia Zureik (ed.), Computers, Surveillance and Privacy, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1996.

[6Denis Duclos, Ce "petit château de l’âme" cerné de toutes parts, n°56 de Manière de voir - Sociétés sous contrôle - (mars-avril 2001), supplément du Monde diplomatique. Manière de voir 56, mars-avril 2001

[7Ibid.

[8Ibid.

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