"Les comptes suisses de Liliane Bettencourt embarrassent Paris". Par Jean-Claude Péclet

, par  J.G.
Lu 533 fois

« L’héritière multimilliardaire de l’empire L’Oréal cachait au moins 100 millions de francs à Genève et à Vevey. Sa fortune était gérée par la femme du ministre Eric Woerth, au moment où celui-ci voulait faire la chasse aux fraudeurs.

Tandis qu’Éric Woerth, alors ministre du Budget, menaçait la Suisse d’utiliser les données volées à la banque HSBC pour dénoncer les évadés du fisc français, son épouse, Florence, gérait la fortune de la milliardaire Liliane Bettencourt, comprenant deux comptes suisses non déclarés pour un total de 100 millions de francs. Telle est l’une des révélations diffusées depuis deux jours par le site d’investigation Mediapart [1], qui a eu accès à des enregistrements clandestins dans ce qui apparaît comme un des plus gros vaudevilles politico-financiers de l’Hexagone.

Illégaux mais authentiques, selon une source judiciaire, les enregistrements ont été réalisés de mai 2009 à mai 2010 par un maître d’hôtel de Liliane Bettencourt, et transmis à la brigade financière par sa fille unique, Françoise.

Une guerre féroce oppose les deux femmes autour de l’héritage colossal – 22 milliards de francs – de l’empire de produits cosmétiques L’Oréal. Liliane Bettencourt, 87ans, vit sous l’emprise du dandy photographe François-Marie Banier, qui lui aurait soutiré 1 milliard d’euros entre 2002 et 2009, accuse sa fille. Une enquête préliminaire a été classée en septembre 2009, le procès du photographe se tiendra début juillet. Dans cette atmosphère explosive, des employés de maison ont été renvoyés, un maître d’hôtel s’est juré de les venger – et voilà…

Ces enregistrements montrent que Liliane Bettencourt a des problèmes de mémoire, et qu’elle arrose généreusement le parti du président de la République (ndlr : République ?), les proches de ce dernier et Nicolas Sarkozy lui-même, qui s’intéresse de près à ses affaires.

Mais venons-en à la Suisse. En automne 2009, la chasse aux fraudeurs du fisc lancée par le gouvernement français sème un vent de panique dans l’entourage de la milliardaire, en particulier Patrice de Maistre, directeur de Clymène, la société qui gère sa fortune. Le 27octobre 2009 – on est en pleine affaire HSBC –, Patrice de Maistre annonce à Liliane Bettencourt :

“Je pars en Suisse tout à l’heure pour essayer d’arranger les choses avec vos comptes en Suisse. Il ne faut pas que l’on se fasse prendre avant Noël.

Que l’on se fasse prendre comment ?

À partir de janvier – c’est M.Woerth qui a fait la loi –, la France peut demander aux Suisses si vous avez un compte là-bas. Je suis en train de mettre un compte à Singapour. Parce qu’à Singapour ils ne peuvent rien demander. X. m’a dit que vous aviez un autre compte, mais je ne suis pas au courant. […] J’y vais toutes les semaines en ce moment.”

En fait, l’application de la loi “faite par M. Woerth” est alors suspendue à l’issue du différend HSBC. Patrice de Maistre n’en est pas moins inquiet. Le 19 novembre, il dit être “allé voir ce compte à Vevey où vous avez quand même (sic) 65 millions d’euros. J’ai vu le notaire qui s’occupe de cela, […] il faut qu’on enlève ce compte de Suisse. Je suis en train d’organiser le fait de l’envoyer dans un autre pays, qui sera soit Hongkong, Singapour ou en Uruguay. […] Comme ça, vous serez tranquille.”

À quoi Liliane Bettencourt rétorque, très lucide ici : “Il y aura toujours une espèce de chantage.”

Outre le compte veveysan, il y en a un autre, géré par un avocat d’affaires genevois et crédité de 13 millions d’euros. Les enregistrements ne disent pas ce qu’ils sont devenus. Ils montrent en revanche l’embarras croissant autour de Florence Woerth, épouse du ministre et responsable des investissements de Clymène : “Je me suis trompé quand je l’ai engagée, avoue Patrice de Maistre le 23 avril 2010. […] Si vous voulez, sans faire de bruit, je pense qu’il faut que j’aille voir son mari, […] il faut que je lui dise qu’on ne peut plus avoir sa femme. Et puis on lui… on lui, on lui donnera de l’argent et puis voilà. Parce que c’est trop dangereux.” En effet.

Les avocats de Liliane Bettencourt se battent aujourd’hui pour que les enregistrements ne puissent pas être utilisés en procès, puisque obtenus illégalement. Mais la jurisprudence dit le contraire. Et puis, Eric Woerth n’était pas si regardant avec les données de clients HSBC, obtenues illégalement, elles aussi. » Jean-Claude Péclet

Article publié par letemps.ch, le 19/06/10.

Navigation

Sites favoris Tous les sites

Brèves Toutes les brèves