L’ordre républicain

, par  Anne-Cécile Robert, Tribune libre
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« Les politiques en appellent à l’ordre républicain » titre Le Monde ce 7 avril 2009. De quoi s’agit-il ? De la séquestration, « forcément inacceptable », de cadres d’entreprise par leurs salariés, de manifestations violentes, voire de « guérilla »,mais aussi de voitures brûlées et d’élèves qui répondent à leurs maîtres d’école. Du président de la République à la ministre de l’intérieur, en passant par quelques hauts responsables socialistes pas toujours à l’aise, le thème se diffuse sur le ton de l’évidence : il faut coûte que coûte maintenir l’ordre. Qui serait, en effet, contre l’ordre ? Quelques excités gauchistes, évidemment "irresponsables", qu’on voudrait tant rendre inoffensifs qu’on exagère leur capacité de nuisance en les assimilant à un groupuscule ennemi des caténaires de la SNCF ?

Dans le même temps, les licenciements se multiplient- pas toujours justifiés : la crise à bon dos - ; le gouvernement asphyxie la sécurité sociale pour mieux développer le secteur caritatif ; les services publics sont méthodiquement attaqués sur l’air de la rentabilité ; les privilèges sont rétablis avec pour étendard le « bouclier fiscal » ; le suffrage universel est méprisé (le « non » du 29 mai 2005 est étouffé) ; les abstentionnistes majoritaires sont réduits à des pêcheurs à la ligne...

Mais de quel « ordre républicain » le gouvernement, la presse à gage et les partis conformes, peuvent-ils donc se prévaloir ? Lafigure d’un policier résume-t-elle la recherche vitale de la sécurité ? Depuis 1789, les Français sont confrontés à cette question de l’ordre et du mouvement. Ils l’ont tranchée avec sagesse en instaurant la République. Celle-ci peut imposer l’ordre parce qu’elle garantit l’égalité et la liberté. Son pouvoir de police est la contrepartie de sa quête existentielle de la liberté pour tous et de la justice sociale. Sinon, la force n’est que l’expression de la domination des puissants et des possédants qui veulent faire taire ceux qui paient le prix de leur bien-être en «  perdant leur vie à la gagner ». On se souvient d’ailleurs qu’en 1848, les conservateurs monarchistes s’étaient regroupés en un « parti de l’ordre » qui soutint le coup d’Etat de Louis-Napoleon Bonaparte en 1851. Ce dernier instaura un régime à la fois libéral économiquement et autoritaire politiquement.

On s’étonne aujourd’hui que les « jeunes des banlieues » sifflent la Marseillaise, crachent sur les pompiers et attaquent les voitures de police. On se plaint de leur manque de civisme. Mais, si cette violence sans tête peut légitimement inquiéter, ces jeunes n’ont-ils pas toutes les raisons d’être déboussolés quand ils ne voient la République qu’en uniforme, prête à frapper ? Des classes populaires, des zones urbaines comme rurales, on attend la discipline dans les halls des agences pour l’emploi d’où l’emploi a disparu depuis longtemps. De ceux à qui on vole l’avenir en démolissant l’éducation nationale, on attend esprit d’initiative et adaptation en feignant de croire que la course est égale avec leurs homologues des quartiers aisés. De ceux qui sont d’origine étrangère, on exige qu’ils « s’intègrent », mais à quoi ?

« L’ordre républicain » dont la classe dirigeante a plein la bouche n’est que le paravent d’une nouvelle aristocratie, gardienne des inégalités sociales. Il est le pendant d’une violence économique de plus en plus crue. Le modèle républicain est bien loin qui cherche à allier liberté et égalité. Et ce n’est pas un hasard si le chef de l’Etat et certains de ses ministres abusent de la notion d’outrage pour traîner devant leurs tribunaux - l’indépendance de la justice n’est plus un dogme à dit la garde des sceaux Rachida Dati - ceux qui les critiquent et les moquent.

Procès pour des « Casse toi, pauv’ con ». Procès pour un « Sarkozy, je te vois ». Procédure entamée pour un « Ouh ! la menteuse » adressée à une ministre... Les ennemis de la République ont toujours cherché à faire d’elle un objet d’exécration pour mieux rétablir leurs privilèges. Ils continuent ce travail de sape aujourd’hui : une République qui n’a plus que la matraque à la main renie ses valeurs.

Anne-Cécile Robert

Article également publié dans la lettre n°30 du Groupe République ! : http://www.le-groupe-republique.fr/

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