L’Université au Kärcher
"Rien n’est plus commun que ce nom
Rien n’est plus rare que la chose." [1]
Université publique, enseignants-chercheurs, CNRS, concours de recrutement, professeurs titulaires : pour M. Nicolas Sarkozy tout doit disparaître, dût le mépris être convoqué. Ainsi, dans son discours du 22 janvier 2009, le Président de la République n’était pas en reste pour décrédibiliser le modèle universitaire français. Amené à s’exprimer publiquement sur la recherche et l’innovation, il estima les universitaires « mauvais », « non performants », « archaïques », « idéologues », « partisans », « conservateurs », « aveugles », « ayant des mentalités à changer », « installés dans le confort de l’autoévaluation », « rigides » [2]. L’inspiration libérale était au cœur d’un tel discours, où nul ne suggéra que Les chiens de garde de Paul Nizan trouvaient leur place. Si pour ce dernier, « la culture de l’intelligence est une arme », pour M. Sarkozy, la culture de l’intelligence semble bel et bien être devenue une cible.
Ce discours du 22 janvier, outre une honte relative à la fonction de celui dont il émane, est l’épiphénomène d’un démantèlement de l’enseignement supérieur, aujourd’hui menacé par une réforme en trois plans : le projet de modification du décret de 1984 sur le statut des enseignants-chercheurs, la mastérisation de la formation des enseignants, et la suppression progressive des titulaires bien formés, de la maternelle à l’Université. Ces régressions mettent en cause les libertés académiques, les institutions républicaines, et un système de recherche français, ayant d’ailleurs été à l’occasion de plusieurs prix Nobel. A ce titre, la résistance des 57000 enseignants-chercheurs, répartis dans 74 universités françaises, est une réponse très légitime.
Mise à part l’irréductible 5ème section du Conseil national des universités (CNU, sciences économiques), pour le moins favorable à la jurisprudence des lois du Marché en matière de service public, l’ensemble des universitaires et des enseignants, présidents d’universités, présidents du CNU, Institut Universitaire de France et Académie des Sciences comprise [3], s’accordent à penser que l’Université est menacée par ces projets de réforme visant à l’asphyxier, sous le poids de l’économie.
L’histoire ne date pas d’hier, puisque la marchandisation de l’Enseignement supérieur fait l’objet d’efforts destructeurs considérables depuis Claude Allègre, et l’adoption de différentes directives européennes visant à libéraliser les services publics. L’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) et le processus de Bologne de 2002, mettant en place la réforme Licence-Master-Doctorat (LMD) en furent déjà des éléments décisifs [4]. Le 10 août 2007, l’adoption de la Loi relative à l’autonomie des universités (LRU) a favorisé quant à elle ce processus d’apparence irréversible, qui légitime la poursuite d’une démolition des principes du service public, sans concertation aucune avec les intéressés [5]. Aujourd’hui, comme le reconnaît Mme Valérie Pécresse, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, cette réforme de l’Université se situe dans la continuité de la loi LRU (Libération, 9 février 2009).
La cause déterminée, les conséquences doivent s’ensuivre, respectant de façon programmatique les directives d’un certain Cahier 13 de l’OCDE : pressions sur le droit de grève des enseignants, égalité de recrutement entaillée, compétitivité, évaluation et gestion des carrières universitaires sur le modèle de la concurrence, suppression de postes ouverts aux concours, études bibliométriques, recrutement d’enseignants sur le modèle du CDD, alourdissement des charges d’enseignement, etc. Si l’Université devient un prestataire de services, et les enseignants-chercheurs classés comme Google classe les sites, selon le mot de la philosophe Barbara Cassin, qui empêchera les riches d’acheter subséquemment des diplômes, et la loi du marché d’entrer dans le règne de l’esprit ?
À cette liste, comme l’a évoqué la Libre-Pensée, s’ajoute une attaque frontale contre la laïcité. En effet, depuis l’accord du 18 décembre 2008 signé avec le Vatican, le Ministère de l’Enseignement supérieur donne aux facultés catholiques le droit de décerner les diplômes de licence, master et doctorat. À terme, le baccalauréat lui-même, premier grade universitaire, est concerné. Les réformes en cours libèrent ainsi un espace pour la création prochaine d’Unités de Formation et de Recherche (UFR) de théologie, et même pour l’enseignement du créationnisme, ce qui serait contraire aux principes laïques et républicains ayant conduit à la suppression en 1885 de la faculté de théologie de la Sorbonne par Jules Ferry.
De fait, si la succession des Assemblées Générales, réunions intersyndicales, manifestations et grèves en cours, prouve aujourd’hui les dangers d’une réforme dont les pouvoirs publics sont responsables, plusieurs résistances doivent s’amplifier. L’une d’entre elles semblerait répondre à un scénario de remise à plat des règles démocratiques : l’élaboration d’un nouveau texte de loi, par la tenue exceptionnelle d’Etats Généraux.
Jérémy Mercier
Article également publié dans la lettre n°26 du groupe République !, http://www.le-groupe-republique.fr