Le Second Empire pour comprendre le monde d’aujourd’hui ?

, par  J.G.
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Peinture de Franz Xaver Winterhalter, XIXe.

Napoléon III : "L’Empire, c’est la paix"

Le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de Napoléon Ier, est élu président de la République au suffrage universel après une victoire écrasante. Dès le 27 juillet 1849, une première loi très restrictive sur la presse fut votée qui fut suivie par une seconde le 8 juin 1850. Le 31 mai 1850, une loi restreignant le corps électoral fut votée. Le 19 juillet 1851, l’Assemblée rejeta le projet de révision de la Constitution permettant la réélection du président et il s’en suivit le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre, l’Assemblée législative étant dissoute.

Après son coup d’État, Louis-Napoléon Bonaparte promulgua le 14 janvier 1852 une nouvelle Constitution qui lui donna la totalité du pouvoir. Le décret du 17 février 1852 mit en place le régime des avertissements pour la presse. Le 2 décembre de la même année, Louis-Napoléon Bonaparte proclama l’Empire à la suite d’un plébiscite et devint empereur sous le nom de Napoléon III. Jusqu’en 1860, le régime fut autoritaire. Les opposants furent arrêtés ou contraints à l’exil. Ainsi l’écrivain Victor Hugo, farouche opposant à Napoléon III, dut quitter la France. Les libertés fondamentales (de réunion, de presse, droit de grève...) furent fortement limitées.

Livre d’Alistair Horne, Le siège de Paris et la Commune (1870-1871)

Pour donner une petite description du Second Empire, je vais vous donner un extrait du livre "Le siège de Paris et la Commune (1870-1871)" (The fall of Paris) de l’historien anglais, Alistair Horne, traduit de l’anglais par René Jouan, édition Plon, 1967. Alistair Horne avait fait appel au témoignage des correspondants de la presse étrangère dans le Paris de cette époque. Voilà cet extrait :

«  Ayant jugé nécessaire de consolider sa prise du pouvoir en 1851 par une sorte de régime autoritaire, Louis-Napoléon entreprit de créer la prospérité intérieure comme moyen de divertir les esprits français de la perte de leurs libertés essentielles. La production industrielle doubla et le commerce extérieur fit de même en dix ans. L’or afflua des mines de Californie et d’Afrique du Sud. De grandes banques comme le Crédit Lyonnais et le Crédit Foncier se fondèrent. Des grands magasins, comme le Bon Marché et le Louvre, surgirent dans les villes. Le réseau ferroviaire passa de 3 685 kilomètres à 17 924. Des lignes télégraphiques couvrirent le pays ; les constructions navales prirent un vif essor. L’ "Enrichissez-vous !" de Guizot s’appliqua particulièrement au Second Empire. La spéculation fit rage ; de très hauts personnages, comme le duc de Morny, s’y compromirent. Mais il en sortit une aristocratie de la richesse qui délogea l’ancienne de ses châteaux. Au recensement de 1866, sa population comptait trente-sept millions et demi d’âmes, mais son trait le plus notable était l’accroissement considérable des grandes villes, de Paris tout spécialement, conséquence de cette industrialisation.

Napoléon III et le baron Haussmann

Napoléon III et le baron Haussmann

Peinture de Yvon Adolphe, 1859. Musée Carnavalet, Paris.

Napoléon III remet à Haussmann le décret d’agrandissement de Paris (la ville passe ainsi de 12 à 20 arrondissements).

La reconstruction de Paris par le Baron Haussmann reste le legs le plus durable du Second Empire. En 1859, l’ancien mur des Fermiers généraux fut démoli et sept nouveaux arrondissements furent annexés. D’un bond, la ville, comptant alors deux millions d’habitants, s’étendit jusqu’à la ceinture des forts de protection construits sous Louis-Philippe. Vingt mille maisons furent démolies, quarante mille construites. De grands boulevards crevèrent la taupinière du vieux Paris.

Beaucoup critiquèrent, certains admirèrent, mais Haussmann ne visait pas seulement un but esthétique. Il pensait aussi à la santé et au crime. Les démolitions firent disparaître bien des abcès purulents et des repaires de la pègre. Une autre considération intervint encore dans cette ville où les émeutes et les révolutions faisaient presque partie de la vie courante. Lors de sa visite de 1855, la reine Victoria remarqua elle-même que les rues étaient macadamisées "pour empêcher le peuple de dresser des barricades avec les pavés, comme jusqu’ici". Les militaires observèrent aussi que les longues rues droites offraient d’excellents champs de tir et facilitaient les transports des forces de l’ordre. Elles ont "percé le foyer habituel des émeutes", déclara Haussmann. Mais la médaille devait avoir son revers.

Louis-Napoléon ne mérita jamais mieux le surnom de Bien-Intentionné que dans ses tentatives pour améliorer le misérable lot de l’ouvrier français ; pour cette classe, il fit des efforts désespérés et, paradoxe amer, ce fut d’elle que surgirent ses pires ennemis. Ses vastes réformes sociales comprirent la création de maternités, de sociétés d’assistance mutuelle, de cités ouvrières, de maisons de retraite pour les accidentés du travail ; il projeta la diminution des heures de travail, la rédaction d’un code de santé ; le droit de grève fut accordé. Mais ses idées les plus progressistes échouèrent contre l’avidité de la nouvelle bourgeoisie et le conservatisme des provinces, faits qui n’échappèrent pas à l’attention des travailleurs.

En fait, la vie des ouvriers ne changea guère. Ils restaient à l’écart de la vague d’enrichissement ; de 1852 à 1870, le salaire d’un mineur d’Anzin n’augmenta que de 30% alors que les dividendes versés par la compagnie triplaient. Même quand les salaires s’accroissaient ils demeuraient au-dessous de l’accroissement du prix de la vie. A Paris, par exemple, pendant l’Empire, les premiers crûrent de 30% et le second de 45%. En conséquence des bouleversements d’Haussmann, les loyers doublèrent pendant le même intervalle et, en 1870, ils absorbaient le tiers du salaire d’un travailleur. La nourriture engloutissait presque le reste. Les chroniqueurs bourgeois de l’époque déclarèrent que les ouvriers n’aimaient pas beaucoup la viande ; la vérité était qu’ils ne pouvaient en acheter. L’endettement était général, et d’après le préfet Haussmann, en 1862, plus de la moitié de la population de Paris "vivait dans une pauvreté voisine de l’indigence". Pour un salaire moyen de 3,81 francs (en 1863), l’ouvrier parisien devait travailler onze longues heures par jour.

L’élévation des loyers refoula la population laborieuse dans des taudis insalubres. Les cabarets, dont le nombre s’accrût considérablement, constituaient presque le seul refuge où l’alcool procurait du moins l’oubli. L’ivrognerie se développa. La mortalité infantile augmenta. Malgré les bonnes intentions de Louis-Napoléon, la coupure entre les travailleurs et le reste de la population ne cessa de s’élargir pendant le règne, et les travaux d’Haussmann en avait créé de nouveaux, infiniment plus dangereux, dans ces arrondissements prolétariens, " rouges ", tels que Belleville et Ménilmontant où à la fin de l’Empire, aucun agent de police n’osait pénétrer seul et où, comme la Commune allait le démontrer, la concentration des ouvriers rendait l’organisation d’une révolte plus facile qu’autrefois.

Si la tension s’accrût entre les classes, ce ne fut pas seulement à cause des conditions matérielles, car, au XIXe siècle industriel, la majorité des travailleurs considéraient encore la pauvreté et la misère comme leur lot inéluctable. D’autres motifs de mécontentement, de caractère philosophique et politique, assez difficiles à définir, se manifestèrent sous l’Empire. Les ouvriers français estimaient avoir été dupés après les trois grandes convulsions révolutionnaires de 1789, des journées de juillet 1830, de celles de février et de juin 1848. C’était surtout leur sang qui avait coulé sur les barricades mais, chaque fois, la bourgeoisie avait raflé les bénéfices. Ce sentiment fleurissait particulièrement parmi les ouvriers parisiens qui se considéraient, avec quelque raison, comme les promoteurs de ces grands mouvements. Le souvenir du dernier les ulcérait plus spécialement. Lors de l’insurrection de Juin, c’étaient eux qui avaient, avant tout, souffert. Lors de la résistance au coup d’Etat de décembre 1851, réprimée par Louis-Napoléon avec la plus grande brutalité, la plupart des cent soixante tués leur appartenaient et 26 000 furent arrêtés et déportés sous le régime de terreur qui suivit. Les prolétaires parisiens, possédant plus de conscience politique que n’importe quels autres, ne pardonnaient pas à Louis-Napoléon d’avoir détruit la République créée par eux et n’oubliaient pas la trahison des petits bourgeois en cette occasion. Pour produire une nouvelle et plus terrible explosion, trois conditions suffisaient : un relâchement de la surveillance policière, des armes, une organisation. (...)

Mais les opposants à Louis-Napoléon ne se recrutaient pas uniquement parmi les hommes en cotte bleue. Indiscutablement, la façade du Second Empire dut beaucoup de son éclat au fait que la grande masse de la bourgeoisie consacra à la poursuite du plaisir des énergies qui eussent pu se déployer dans la voie publique. Cette façade dissimula aussi, avec succès mais non sans danger, le ressentiment qui naît toujours quand on place les libertés françaises sous le boisseau. Au début, le Corps législatif se trouva dépouillé de tout pouvoir réel ; les réunions politiques étaient pratiquement interdites ; une censure sévère contrôlait la presse. L’ " opposition officielle " ne disposait que d’un seul organe, Le Siècle, dont la liberté d’expression restait toute relative.

Après l’attentat d’Orsini, en 1858, une loi permettant l’expulsion sans jugement durcit la dictature. A l’arrivée de Louis-Napoléon au pouvoir, bon nombre de députés socialistes avaient été bannis. Avec eux partirent Victor Hugo et des républicains d’extrême gauche comme Louis Blanc, Ledru-Rollin, Félix Pyat et Charles Descluze. De l’étranger, ils entretenaient une propagande violemment hostile au régime. La prison de Sainte-Pélagie -pas tellement confortable, au demeurant- reçut une clientèle constante de journalistes et constitua un véritable club de sédition.

Léon Gambetta par Léon Bonnat

Léon Gambetta par Léon Bonnat, 1886. Musée national du Château de Versailles. Analyse du tableau.

A l’autre bout de l’opposition se trouvaient les légitimistes, qui rêvaient de rétablir le comte de Chambord, prétendant de la branche aînée, et les orléanistes, nostalgiques du bon vieux Louis-Philippe. Puis venaient les Républicains de toute nuance, des modérés aux révolutionnaires. Le salon de Mme Juliette Adam servait de rendez-vous aux modérés ; on y voyait fréquemment le vétéran Adolphe Thiers et l’avocat Jules Favre, ainsi qu’un autre avocat, plus jeune et plus flamboyant : Léon Gambetta, qui considéré comme " intransigeant " et " radical ", se tenait plus à gauche dans l’éventail politique. Venaient ensuite des républicains encore plus " rouges " comme Henri de Rochefort, de lignée aristocratique, au visage anguleux d’un Don Quichotte, surmonté d’un toupet caractéristique, qui trempait sa plume dans le vitriol et allait devenir un personnage marquant des dernières années de l’Empire. Enfin, à l’extrémité de l’éventail, il y avait les révolutionnaires : jacobins, blanquistes, proudhonistes, anarchistes et, plus tard, internationalistes. (...)

Dans ce spectre de l’opposition on trouvait aussi beaucoup d’intellectuels et d’artistes : Daumier, croisé irréductible, de jeunes peintres comme Manet, Pissaro, Renoir et, avant tout, Courbet qui, en 1870, refusa avec ostentation la Légion d’honneur qu’on lui offrait. Puis il y avait les mécontents de toute sorte, des jeunes tout naturellement révoltés, des déclassés, ceux dont Taine disait : "Dans les mansardes des étudiants, dans les greniers de la bohème, dans les cabinets de médecins sans malades et d’avocats sans cause, il y a des Brissot, des Danton, des Marat, des Robespierre et des Saint-Just en bourgeron."  »

P.S. :

 Le Crédit Lyonnais fut créé en 1863, la Société Générale en 1864.

 L’attentat d’Orsini contre Napoléon III eut lieu le 14 janvier 1858. Il fut exécuté le 13 mars.

 Le 23 janvier 1860, Napoléon III signa un traité de libre-échange (traité réduisant-ou supprimant- les droits de douane entre deux pays) avec l’Angleterre.

 Sous Napoléon III, les conquêtes coloniales furent nombreuses : occupation de la Nouvelle-Calédonie en 1853 ; achévement de la conquête de l’Algérie - soumission de la Kabylie en Algérie en 1857 - ; début de l’occupation de l’Annam en Indochine en 1858 ; occupation de Saïgon le 18 février 1859 ; traité de Saïgon, annexion de la basse-Cochinchine en Indochine le 5 juin 1862 ; expédition franco-anglo-espagnole au Mexique pour défendre leurs intérêts économiques. Les troupes françaises s’emparent de Mexico le 7 juin 1863 ; protectorat français sur le Cambodge en 1863.

 Le 25 mai 1864 : loi autorisant la coalition des ouvriers et accordant le droit de grève.

 Le 11 mai 1868 : loi libérale sur la presse, supprimant l’autorisation préalable et les avertissements.

 Le 6 juin 1868 : loi accordant la liberté de réunion.

 Le 4 septembre 1870 : l’Assemblée proclame la déchéance de Napoléon III et l’établissement de la République.

 Parallèle entre les propos de Napoléon III " L’Empire, c’est la paix " et les fédéralistes européens " L’Union européenne, c’est la paix ". Les fédéralistes américains avaient-ils dit " Les Etats-Unis, c’est la paix " ...

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