Robespierre et les Girondins, quelques précisions

, par  Jacqueline Grimault, Tribune libre
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Comment, dans sa « réponse à… la réponse de Florence Gauthier... » [1], M. Olivier Blanc peut-il affirmer dans une note que : « Robespierre qui se posait comme un grand démocrate, abandonna sans protester 150 députés Girondins, les sacrifiant à son ambition personnelle » ?

En effet personne n’ignore, ou du moins ne devrait ignorer, qu’à la suite du décret d’accusation porté le 3 octobre 1793 par Amar contre 48 membres de la Convention et du décret d’arrestation émis contre ceux qui avaient, les 6 et 19 juin, protesté contre la Révolution des 31 mai - 2 juin 1793 [2], Robespierre s’était fermement opposé à la mise en accusation de gens qu’il considérait plus abusés que coupables :

« La Convention nationale, avait-il dit, ne doit pas chercher à multiplier les coupables, c’est aux chefs de la faction qu’elle doit s’attacher ; la punition des chefs épouvantera les traîtres et sauvera la patrie. La plupart de ces grands criminels sont compromis dans le décret d’accusation ; s’il en est d’autres parmi ceux que vous avez mis en état d’arrestation, le comité de sûreté générale vous en présentera la nomenclature, et vous serez toujours libres de les frapper. Mais, citoyens, faites attention que parmi les hommes que vous avez vu traîner le char des ambitieux que vous avez démasqués, il en est beaucoup d’égarés, sachez… (Il s’élève quelques murmures).
Je dis mon opinion en présence du peuple ; je la dis franchement, et je le prends pour juge de mes intentions. Sachez, citoyens, que vous ne serez véritablement défendus que par ceux qui auront le courage de dire la vérité, lors même que les circonstances sembleraient commander leur silence. (Vifs applaudissements)
Je suis loin de faire l’apologie de la faction exécrable contre laquelle j’ai combattu depuis trois ans et dont j’ai failli plusieurs fois être la victime ; ma haine contre les traîtres égale mon amour pour la patrie ; et qui osera douter de cet amour ?
Je reviens à mon raisonnement, et je dis qu’ayant ordonné au comité de sûreté générale de faire un rapport sur les signataires de la protestation, il est de votre justice d’attendre ce rapport ; je dis que la dignité de la Convention lui commande de ne s’occuper que des chefs, et il y en a déjà beaucoup parmi les hommes que vous avez décrétés d’accusation ; s’il en existe encore, le peuple est là, et il vous en demandera justice ; je dis que parmi les hommes mis en état d’arrestation, il s’en trouve beaucoup de bonne foi, mais qui ont été égarés par la faction la plus hypocrite dont l’histoire ait jamais fourni l’exemple ; je dis que parmi les nombreux signataires de la protestation, il s’en trouve plusieurs, et j’en connais, dont les signatures ont été surprises. D’après toutes ces considérations, je demande que la Convention laisse les choses dans l’état où elles sont, jusqu’après le rapport de son comité et s’il se trouve encore des nouveaux coupables, on verra alors si je ne serai pas le premier à appeler sur leur tête toute le vengeance des lois. (On applaudit)
La proposition de Robespierre est adoptée. »
 [3]

Certains des 73 hommes à qui il venait de sauver la vie, lui écrivirent de leur prison, pour lui dire leur reconnaissance :

« A la Force, ce 29 nivôse l’an 2è (18 janvier 1794) de la République Une et Indivisible.

Citoyen notre collègue.
Nous avions emporté du sein de la Convention et nourri dans notre captivité un sentiment profond de reconnaissance excité par l’opposition généreuse que tu formas le trois octobre à l’accusation qui fut proposé contre nous. La mort aura flétri notre cœur avant que cet acte de bienfaisance ne soit effacé. L’erreur dont nous sommes victimes ne nous paraît pas un crime… Nous fûmes égarés, mais nous ne le fûmes qu’un moment. Cette fatale signature surprise à notre stupeur fut rétractée dans notre cœur autant de fois qu’elle fut rappelée à notre mémoire…
Si nous étions jugés indignes de siéger encore dans le Sénat français, nous emporterions dans nos foyers l’amertume inséparable de cette humiliante exclusion, mais bien loin quelle éteignît en nous l’amour de notre Patrie et le zèle pour sa postérité, nous ne croirions pouvoir en effacer la tache, que par l’ardeur de l’un et de l’autre.
Si au contraire nous étions rappelés au poste qui nous fut mérité par notre civisme et assigné par la confiance de nos concitoyens, tu nous verrais fidèles aux principes républicains, animés par ton exemple, échauffés par le feu de ton patriotisme, marcher d’un pas ferme et constant, sur le chemin de la Révolution.
Nous croyons pouvoir t’assurer que les sentiments de tous nos compagnons d’infortune sont les mêmes que ceux que nous t’exprimons. Rends-les, rends-nous à la patrie, tu accroîtras le nombre de ses vrais défenseurs. Et tu multiplieras les Amis du peuple.
Nous sommes fraternellement tes concitoyens et tes collègues.

Signés Hequet, Queinec, Ruault, St-Prix, Delamare, Blad, Vincent. »
 [4]

Mais, contrairement à ce qu’ils prétendaient, les auteurs de cette lettre flatteuse n’attendirent pas que leur mort ait effacé dans leur cœur l’acte courageux de Robespierre : immédiatement après le 10 thermidor - 28 juillet 1794, la plupart d’entre eux accablèrent leur bienfaiteur.

Qu’importe. Maximilien ne devait pas se faire beaucoup d’illusions sur la sincérité de ceux qui, dès les premiers temps de la Convention, le 25 septembre 1792 exactement, portaient sur lui l’accusation dangereuse « d’aspirer à la dictature ». Simplement, comme à l’accoutumée, il répondait le 3 octobre 1793 à la voix de sa conscience.

Et nous voici une fois encore confortés dans cette idée : à savoir que se pencher sur les sources éviterait de propager des erreurs…

Jacqueline Grimault

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