Europe Ecologie, Europe Ethnies

, par  .Yvonne Bollmann, Tribune libre
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Le match de rugby qui a opposé Perpignan à Clermont le 6 juin 2009 était comme une préfiguration des élections européennes du lendemain. Les médias semblaient s’être concertés pour parler avant, pendant, après, d’une rencontre entre « Catalans » et « Auvergnats », du vrai bourrage de crâne. « Auvergnats », passe encore, puisqu’il y a en France une région Auvergne. Mais que viennent faire ici les « Catalans » ? Est-ce l’empreinte du Conseil général des Pyrénées-Orientales ? Lors de sa session du 10 décembre 2007, il a approuvé une charte en faveur du catalan, dans laquelle le département apparaît aussi sous le nom de « Catalunya Nord ».

Un détour par la Foire du livre de Francfort, version 2007 (du 10 au 14 octobre), permet d’en apprendre un peu plus à ce sujet, et de découvrir en même temps un aspect des Verts moins connu que leurs préoccupations environnementales : leur combat pour un ordre ethnique en Europe. Cette année-là, l’invité d’honneur fut la « culture catalane ». C’était une première, et de grande portée politique, car jusqu’à cette date, Francfort avait toujours rendu hommage à des Etats souverains ou à des groupes d’Etats.

Dans un entretien avec la rédaction du site allemand www.german-foreign-policy.com (10 octobre 2007), un député au Parlement de Catalogne du parti Ciudadanos - Partido de la Ciudadanía a critiqué « non pas la présence de la culture catalane » à la Foire du livre de Francfort, mais « le fait que la culture catalane d’expression espagnole, d’ailleurs majoritaire, en a été exclue ». Il a dit que l’objectif des séparatistes est d’établir officiellement le catalan comme langue unique de la Catalogne, ce qui contrevient à l’article 3.1 de la Constitution espagnole : « Le castillan est la langue espagnole officielle de l’État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l’utiliser. »

Les organisateurs de la Foire du livre, dont l’un des partenaires officiels est le ministère allemand des Affaires étrangères, savaient forcément tout cela. Dès octobre 2005, ils ont invité la « culture catalane » pour 2007. C’était offrir une plate-forme au mouvement « Se détacher de Madrid », ainsi que l’a écrit german-foreign-policy (voir les articles Sprachenkampf, du 10 octobre 2007, et Europa der Völker, du 15 octobre 2007). Le 30 septembre précédent, le Parlement de Catalogne avait voté pour un nouveau statut d’autonomie. La Catalogne y est définie comme « nation » dont les membres ont le droit de « décider librement en tant que peuple de leur avenir ». L’invitation venue de Francfort provoqua une radicalisation chez les autonomistes catalans. German-foreign-policy a mentionné le projet sécessionniste du parti Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), la Gauche républicaine catalane, membre de la coalition au pouvoir à Barcelone.

Au Parlement européen, l’ERC est membre du Groupe des Verts/Alliance Libre Européenne (GV ALE), créé en 1981, dont Daniel Cohn-Bendit est coprésident depuis 2002, et où se retrouvaient en 2007 des partis de 13 Etats de l’UE – entre autres le Scottish National Party (Grande-Bretagne) et l’Union für Südtirol (Italie). Pour ce qui est de la France, il y a dans l’ALE le Mouvement Région Savoie, la Ligue savoisienne, l’Union démocratique bretonne, l’Union du peuple alsacien, le Partitu di a Nazione Corsa, le Partit Occitan, ainsi que l’Unitat Catalana (qui appelle « Catalogne Nord » les Pyrénées-Orientales).

Le parti allemand Bündnis 90/Die Grünen (Alliance 90/Les Verts), son membre le plus influent, détenait en 2007 l’une des deux présidences de ce groupe, et occupait des postes importants dans les Commissions parlementaires. A l’instar de l’ERC, l’Iniciativa per Catalunya Verds (Initiative pour la Catalogne Les Verts), est à la fois dans la coalition gouvernementale à Barcelone et dans le Groupe des Verts/Alliance Libre Européenne au Parlement européen. Pendant la Foire du livre, l’ICV et Bündnis 90/Die Grünen ont participé à une manifestation commune, ce qui témoigne de liens étroits entre les deux mouvements.

German-foreign-policy a noté que « des séparatistes de plusieurs régions d’Espagne ont profité de la foire du Livre pour se concerter quant à leur stratégie ». A Francfort, des représentants officiels de la Catalogne et des Baléares ont annoncé devant la presse internationale que les deux provinces allaient renforcer leur coopération institutionnelle. Le vice-président du Gouvernement catalan, qui veut la sécession d’avec l’Espagne, a invité la région de Valence à les rejoindre.

Juste après son élection comme président de ce gouvernement en décembre 2003, Pasqual Maragall a demandé à l’Association des Régions Frontalières Européennes (ARFE) la création d’une « Eurorégion allant des Pyrénées à Alicante », afin de pouvoir « se détacher de Madrid ». L’ARFE fut créée en 1971 à l’initiative de l’Europa-Union Deutschland, qui était financée à l’époque par le ministère allemand des Affaires étrangères, et qui se livrait depuis les années d’immédiat après-guerre à une propagande intense en faveur des régions, contre les Etats.

Parmi les auteurs de la première charte de l’ARFE (« Loi fondamentale des Eurorégions »), il y avait Theodor Veiter, qui militait dans les années 1930 pour une « Europe des régions » « racialement pure » sous direction allemande. A l’ARFE, il s’occupait de la « protection des minorités » dans les eurorégions. Il y avait aussi Hermann Mitterdorfer, qui a établi le contact entre cette association et la Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen/Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes/Federal Union of European Nationalities (FUEV/UFCE/FUEN), l’un des maîtres d’œuvre de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La Région Languedoc-Roussillon et la Generalitat de Catalunya sont toutes deux membres de l’ARFE.

La Catalogne est aussi fort active au sein de l’Assemblée des régions d’Europe, et au Comité des Régions, que german-foreign-policy définit comme un « lobby au service de la régionalisation ». Lors de l’inauguration de la Foire du livre, le ministre allemand des Finances a félicité les organisateurs d’avoir convié comme invité d’honneur « une région ». Il a déclaré que « dans une Europe où les frontières s’estompent de plus en plus, le fait d’avoir choisi la Catalogne montre de très belle et séduisante façon que l’Europe n’est pas une union rigide d’Etats nationaux, mais qu’elle vit de la force et de la diversité de ses régions ».

A Francfort, il y avait parmi les représentants de la « culture catalane » la ville de Perpignan. Les organisateurs de la Foire du livre ont travaillé avec l’Ajuntament da Perpinyà. Dans le programme des manifestations annexes, l’Institut français de Francfort a proposé une soirée poésie et musique avec le chanteur Pere Figueres, « l’un des principaux représentants de la Nova Canço de l’espace linguistique nord-catalan ». Il a cautionné ainsi l’existence d’une entité « catalane » homogène englobant un bout de France.

Pour l’ERC, les « pays catalans » constituent « une des nombreuses nations sans Etat » de l’Europe actuelle, « dont les frontières n’ont pas grand-chose à voir avec les réalités nationales ». Des séparatistes considèrent qu’il y a en France des « territoires historiquement catalans », et ils les revendiquent à ce titre. Le Groupe des Verts/Alliance Libre Européenne est pour une « Union européenne des peuples libres ». Avec le soutien financier du Parlement européen, l’ALE a mis en ligne une carte où une « Grande Catalogne » comprenant aussi les Baléares et Andorre empiète sur la France. Notre pays s’y trouve amputé de près de la moitié de son territoire (« Occitanie », « Bretagne », « Alsace/Elsass »).

En octobre 2008, dans la perspective des élections du 7 juin 2009, Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, José Bové, Jean-Paul Besset, Cécile Duflot, Antoine Waechter, Yannick Jadot, François Alfonsi et Pascal Durand ont publié le manifeste « Changer d’ère ». Ils y ont affirmé entre autres que « l’Union européenne, malgré les aléas de sa construction et des pratiques trop souvent technocratiques, a bâti un espace de paix et de coopération entre les 27 Etats et les 83 peuples qui la composent ». L’Union européenne, c’est bien 27 Etats. Mais 83 peuples ?

On voit là que les signataires du manifeste sont pour l’Europe des régions à caractère ethnique voulue par l’Allemagne. S’ils s’étaient montrés plus explicites, s’ils avaient dit par exemple que les joueurs de rugby de l’Union sportive des Arlequins de Perpignan sont des membres du « peuple catalan », pas du peuple un et indivisible de la France, certains électeurs y auraient peut-être regardé à deux fois avant de voter le 7 juin pour la liste Europe Ecologie.

Yvonne Bollmann, universitaire, auteur de La tentation allemande (1998), La Bataille des langues en Europe (2001), Ce que veut l’Allemagne (2003)

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